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08 Déc 2023

Beaupré c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 4431

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

TRAVAIL : L’inhabilité à agir à titre de représentant syndical en cas de commission de certaines infractions ne constitue pas un traitement «intolérable aux yeux de la population», et ce, à la lumière notamment du long historique d’intimidation, de saccage et de troubles parfois violents dans l’industrie de la construction.

2023EXP-2920 **

Intitulé : Beaupré c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 4431

Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Montréal

Décision de : Juge Éric Dufour

Date : 14 novembre 2023

Références : SOQUIJ AZ-51984133, 2023EXP-2920, 2023EXPT-2300 (47 pages)

Résumé

TRAVAIL — industrie de la construction — recours et procédure — contrôle judiciaire — validité constitutionnelle — article 119.11 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction — inhabilité à occuper la fonction de représentant syndical — infraction pénale — placement syndical — déclaration de culpabilité — historique des relations du travail — liberté d’association — absence d’atteinte substantielle — protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités — conséquence civile — gravité de l’infraction — proportionnalité.

DROITS ET LIBERTÉS — droits et libertés fondamentaux — association — association syndicale — inhabilité à occuper la fonction de représentant syndical — industrie de la construction — article 119.11 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction — absence d’atteinte substantielle.

DROITS ET LIBERTÉS — droits judiciaires — protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités — industrie de la construction — inhabilité à occuper la fonction de représentant syndical — article 119.11 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction — conséquence civile — infraction pénale — gravité de l’infraction — proportionnalité.

Pourvoi en contrôle judiciaire attaquant la validité constitutionnelle d’une partie de l’article 119.11 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction (LRTIC). Rejeté.

Les représentants syndicaux demandeurs ont été reconnus coupables d’avoir contrevenu à l’article 119.0.1 LRTIC, lequel proscrit essentiellement de «référer», directement ou indirectement, de la main-d’oeuvre autrement que par l’intermédiaire du Service de référence de main-d’oeuvre de l’industrie de la construction. Se fondant sur les articles 2 d), relatif à la liberté d’association, et 12, qui porte sur la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités, de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que sur l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, ils contestent la validité constitutionnelle d’une partie de l’article 119.11 de la loi, qui renvoie à l’article 119.0.1 et qui les rend inadmissibles pendant 5 ans à occuper la fonction de représentant syndical.

Décision
L’article 2 d) de la charte ne confère pas aux employés le droit de dicter les règles d’habilité ou d’inhabilité de leurs représentants syndicaux. Les demandeurs doivent plutôt démontrer que l’effet combiné des articles 119.0.1 et 119.11 LRTIC déséquilibre le rapport de force existant entre les employés et l’employeur au point d’interférer de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective. Ils ont échoué. Le renvoi à l’article 119.0.1 LRTIC ne touche en rien la capacité des travailleurs de choisir leur syndicat ou leurs représentants en fonction de leurs règles de fonctionnement. Le Tribunal ne note aucune entrave substantielle au droit constitutionnel des demandeurs de «véritablement s’associer en vue de réaliser des objectifs collectifs relatifs aux conditions de travail» (Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), (C.S. Can., 2015-01-16), 2015 CSC 1, SOQUIJ AZ-51140948, 2015EXP-185, 2015EXPT-119, J.E. 2015-93, D.T.E. 2015T-42, [2015] 1 R.C.S. 3, paragr. 67). On peut même dire que l’inhabilité imposée par la loi protège la liberté d’association en assurant que les personnes occupant le poste de représentant syndical soient au-delà de tout reproche quant à leur probité. À l’inverse, s’il advenait qu’un représentant syndical conserve ses responsabilités en dépit d’une condamnation par un tribunal pénal, on peut raisonnablement affirmer que des employeurs s’interrogeraient sur sa probité et sa crédibilité et que la bonne représentation des membres s’en trouverait nécessairement amoindrie. Loin de se qualifier de bénins, les gestes des demandeurs contreviennent à l’objectif premier de la loi, qui est de bannir le «placement syndical», lequel constitue dans l’histoire québécoise une source de troubles, de menaces de toutes sortes et même de violence. Subsidiairement, si le Tribunal avait conclu à une atteinte substantielle, il aurait estimé qu’elle se justifie dans une société libre et démocratique.

Enfin, l’inhabilité à occuper une fonction de représentant syndical ne constitue pas une «peine» au sens de la Charte canadienne des droits et libertés, mais plutôt une conséquence civile. Les demandeurs n’ont pas plus gain de cause si l’on aborde la question sous l’angle du «traitement» puisque le Tribunal estime que celui-ci est proportionnel à la gravité des gestes commis par les représentants syndicaux. Certes, les demandeurs sont empêchés d’exercer leurs fonctions et certains ont même perdu leur emploi. Ces conséquences ne constituent cependant pas un traitement «intolérable aux yeux de la population» dans le contexte où l’inhabilité imposée par la loi résulte d’un long historique d’intimidation, de saccage de chantiers de construction et de troubles parfois violents que les Canadiens ne tolèrent pas. Dans tous les cas, s’il fallait conclure que la disposition attaquée contrevient à l’article 12 de la charte canadienne, elle se justifierait sous son article premier.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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