La notion de travaux similaires et connexes dans l’analyse des licences requises pour des travaux de construction et l’affaire Société québécoise des infrastructures c. Action Progex inc : la Cour d’appel confirme le jugement de première instance
Par Sandra Joseph, avocate et Julie Duchesne, Étudiante
Le 21 décembre 2023, la Cour d’appel a prononcé son jugement dans l’affaire Société québécoise des infrastructures c. Action Progex inc.[1] dans lequel la Société québécoise des infrastructures (ci-après « SQI ») a interjeté appel de la décision de la Cour supérieure qui déclarait non conforme le contrat octroyé à l’entreprise Construction B.M.L. inc. (ci-après « BML ») à la suite d’un appel d’offres pour une série de travaux relatifs à l’agrandissement et au réaménagement du Palais de justice de Rimouski (ci-après le « Contrat »). La Cour supérieure avait alors conclu à la commission d’une faute par la SQI à l’égard de la demanderesse, l’entreprise Action Progex inc. (ci-après « Progex »), deuxième plus basse soumissionnaire, qui estime que le contrat aurait plutôt dû lui être accordé. Pour les motifs qui suivent, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance en faveur de Progex et rejette l’appel de la SQI.
Contexte
Le présent litige porte sur la question de la validité de la soumission de BML, plus précisément à savoir si BML détenait toutes les licences prescrites au Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires[2] (ci-après le « Règlement ») requises pour effectuer les travaux décrits dans les documents d’appel d’offres dont le projet est intitulé : Excavation, forage de puits, remblai, civil et aménagements.
En première instance, le juge donne raison à Progex et conclut que BML n’avait pas les licences nécessaires pour effectuer certains travaux prévus au Contrat. Sa soumission était donc non conforme et la SQI a commis une faute en lui octroyant le Contrat.
Trois des travaux à effectuer en vertu du Contrat sont au cœur du litige en appel : « l’installation d’ancrages au roc, le forage dans le fond d’excavation d’un puits d’ascenseur et l’installation d’une gaine d’acier […] »[3].
La SQI réitère sa position présentée en première instance, à savoir que lesdits travaux sont « connexes à la licence 2.5 en excavation et terrassement » [4] que détient BML. De ce fait, elle serait habilitée à effectuer les travaux prévus au Contrat. Progex soutient plutôt que BML aurait dû détenir la licence d’entrepreneur général 1.3 « bâtiments de tout genre » ou, à défaut, « l’ensemble des licences d’entrepreneur spécialisé suivantes : 2.1, 2.6, 3.1 et 14.1 » [5]. Selon la SQI, le juge de première instance a erré en interprétant la notion de travaux connexes de manière trop restrictive.
Décision
D’emblée, la Cour d’appel souligne que les parties ne s’entendent pas sur la nature principale des travaux contenus dans les documents d’appel d’offres. Progex soutient que ces travaux se rapportent à la préparation du fond d’excavation alors que la SQI suggère qu’ils se rapportent plutôt à la livraison de l’assise de la structure du bâtiment.[6] La Cour d’appel précise toutefois que la solution du litige ne repose pas sur cette divergence : « [l]a difficulté réside plutôt dans le fait que, lorsque l’appelante conclut à la nature des travaux ceux qui sont contestés, elle suggère que, par le fait même, ceux-ci deviennent autorisés, car connexes à l’objet du contrat et aux travaux d’excavation. » [7]
La Cour d’appel explique que, puisque BML ne détient pas la licence d’entrepreneur général 1.3, elle n’est pas à première vue autorisée à effectuer les travaux prévus au Contrat. Or, elle peut y être autorisée si elle démontre qu’elle détient les licences d’entrepreneur spécialisé pour chacun des travaux à effectuer.[8] En l’occurrence, il s’agit essentiellement d’évaluer si BML est autorisée à effectuer ces travaux en vertu de sa licence spécialisée 2.5 du Règlement qui se lit comme suit :
« 2.5 Entrepreneur en excavation et terrassement
Sauf pour les travaux compris dans les sous-catégories 2.2 et 2.4 de l’annexe II, cette sous-catégorie autorise les travaux de construction qui concernent le creusage, le déplacement, le compactage, le nivelage de terre ou de matériaux granulaires y compris les travaux relatifs aux petits ouvrages d’art et les travaux de construction similaires ou connexes. »
La Cour d’appel revient sur l’interprétation de la notion de similarité ou de connexité des travaux libellé au Règlement :
« [l]a notion de similarité ou de connexité des travaux se veut souple, les travaux connexes étant ceux requis afin que les travaux principaux soient utiles ou encore pour accroître leur fonctionnalité, leur qualité ou leur pérennité. Fonction des circonstances de chaque espèce, la connexité constitue une question mixte relevant de l’appréciation du juge d’instance à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de déférence »[9].
Après analyse, la Cour d’appel arrive à la conclusion que le juge de première instance n’a pas erré et que les travaux en litige, à savoir l’ancrage, le forage et la gaine, ne sont ni connexes ni similaires :
« [n]on seulement l’installation d’ancrages au roc, lesquels servent à tenir la fondation, le forage du puits d’ascenseur ou la mise en place de la gaine ne sont pas sous-jacents ou requis pour assurer la fonctionnalité, la qualité ou la pérennité des travaux d’excavation de la licence 2.5, mais chacun de ces travaux font eux-mêmes directement l’objet d’une licence d’entrepreneur spécialisé distincte non détenue par BML. »[10]
Par ailleurs, la Cour d’appel écarte l’argument de la SQI selon lequel les travaux en litige sont connexes car interviennent entre l’excavation et le remblai, deux travaux que BML est autorisée à effectuer. Elle affirme « que la connexité des travaux ne repose pas sur un critère chronologique, même s’il n’est pas exclu que ce puisse être un élément pertinent à l’analyse »[11].
Commentaire
Cette décision rappelle l’importance de bien circonscrire la nature des travaux projetés dans un projet de construction afin de déterminer quelles seront les licences requises par l’entrepreneur. Une bonne compréhension de la notion de travaux connexes ou similaires est alors essentielle pour mener à bien cette analyse.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1]Société québécoise des infrastructures c. Action Progex inc., 2023 QCCA 1629.
[2] RLRQ, c. B-1.1, r. 9.
[3] Société québécoise des infrastructures c. Action Progex inc., préc., note 2, par. 4.
[4] Id., par. 3.
[5] Id., par. 3.
[6] Id., par. 11.
[7] Id.
[8] Id., par. 12.
[9] Id., par. 10.
[10] Id., par. 12.
[11] Id., par. 13.
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