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12 Juil 2024

Ducharme c. R., 2024 QCCS 1402

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

PÉNAL (DROIT) : Il n’y a pas lieu d’intervenir à l’égard du jugement de première instance ayant déclaré un policier coupable d’avoir commis une agression sexuelle à l’endroit de sa collègue lors d’une patrouille; il est vrai que le juge a erré en s’appuyant sur le comportement a posteriori de la victime pour déterminer que le récit de l’accusé n’était pas crédible, mais cette erreur, bien qu’elle soit manifeste, n’est pas déterminante.

2024EXP-1692** 

Intitulé : Ducharme c. R., 2024 QCCS 1402 *

Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Saint-François (Sherbrooke)

Décision de : Juge Sébastien Pierre-Roy

Date : 22 avril 2024

Références : SOQUIJ AZ-52021640, 2024EXP-1692 (32 pages)

Résumé

PÉNAL (DROIT) — infraction — infractions de nature sexuelle — agression sexuelle — victime policière — accusé policier — agression survenue pendant le travail — absence de consentement — moyen de défense — défense de croyance sincère mais erronée au consentement — absence de mesures raisonnables — insouciance — absence de vraisemblance — préjugés et stéréotypes — comportement de la victime — déclaration de culpabilité — appel — norme d’intervention — erreur manifeste et déterminante — appréciation de la preuve — comportement postérieur à l’infraction — erreur manifeste mais non déterminante — caractère raisonnable du verdict.

PÉNAL (DROIT) — preuve pénale — moyen de défense — défense de croyance sincère mais erronée au consentement — absence de vraisemblance — agression sexuelle — appréciation de la preuve — témoignage — versions contradictoires — application de R. c. W. (D.), (C.S. Can., 1991-03-28), SOQUIJ AZ-91111043, J.E. 91-603, [1991] 1 R.C.S. 742 — crédibilité de l’accusé — crédibilité de la victime — comportement de la victime — comportement postérieur à l’infraction — erreur manifeste mais non déterminante — dépôt d’une plainte — contradictions — fiabilité — préjugés et stéréotypes — absence de raisonnement conjectural.

Appel d’une déclaration de culpabilité. Rejeté.

L’appelant, un policier, conteste le jugement de première instance qui l’a déclaré coupable d’avoir agressé sexuellement sa collègue lors d’un quart de travail où ils effectuaient ensemble une patrouille en voiture.

Décision
Le tribunal rejette le premier moyen d’appel de l’appelant, selon lequel le juge de première instance aurait adopté un raisonnement conjectural et stéréotypé. Ce dernier a écrit que les règles qui gouvernaient la relation de couple de l’appelant avec sa conjointe et qui étaient invoquées pour expliquer son absence d’intention de courtiser la victime au début du quart de travail étaient difficilement compatibles avec la conduite qu’il avait adoptée envers celle-ci. Le juge aurait certes pu rédiger ses motifs autrement afin de ne laisser aucune place à l’ambiguïté quant au sens de ses propos, mais une lecture contextuelle démontre la portée limitée de cette conclusion. Le juge a simplement souligné l’incohérence entre le comportement de l’appelant et son témoignage quant à ses intentions. Il ne s’agit pas d’une erreur et il est difficile de comprendre en quoi ce raisonnement ferait appel à des mythes et à des stéréotypes.

Par ailleurs, le juge a contrasté le récit de l’appelant, qui décrivait un flirt consensuel entre collègues, avec le retour au travail difficile de la victime après les événements, lequel a d’ailleurs culminé par le dépôt d’une plainte contre celui-ci. Ce contraste a mené le juge à s’interroger sur la crédibilité à accorder au récit de l’appelant. Il est possible de remettre en question l’importance que le juge a accordée à cet élément. En effet, on pourrait se demander s’il était opportun d’évaluer la crédibilité du récit de l’accusé au sujet des infractions reprochées à la lumière de la réaction de la victime quelques jours plus tard. Notamment, l’importation dans cette analyse de la décision de la victime de dénoncer l’accusé est particulièrement délicate puisque ce type de raisonnement peut facilement faire appel à des mythes et à des stéréotypes en lien avec le comportement attendu d’une victime. Tant que certaines règles sont respectées, le juge peut étudier la preuve des événements postérieurs à l’infraction afin de déterminer la crédibilité du récit qui lui est présenté de part et d’autre. Le problème en l’espèce est que le juge s’est servi du comportement a posteriori de la victime non pas pour apprécier la crédibilité de celle-ci, mais plutôt pour analyser celle du récit de l’appelant au sujet des gestes reprochés. Cette erreur, bien qu’elle soit manifeste, n’est pas déterminante. Une revue de l’ensemble des motifs énoncés par le juge permet de conclure que cet élément n’était pas le facteur déterminant dans son analyse et ne témoignait pas d’un renversement indu du fardeau de preuve. Même si l’erreur commise par le juge a contribué à son analyse de la logique du récit de l’appelant, elle ne représentait que l’un des nombreux motifs justifiant sa conclusion quant à l’absence de crédibilité de l’appelant. Finalement, le juge n’a pas erré en relevant qu’il était incongru que ce dernier se défende de s’intéresser aux rumeurs alors qu’il avait interrogé une collègue sur sa relation avec un autre policier.

Concernant l’analyse de la crédibilité des versions respectives données par l’appelant et la victime, il est vrai que certains commentaires du juge peuvent laisser croire qu’il s’apprêtait à choisir entre les 2 versions. Toutefois, une lecture de l’ensemble des motifs démontre que la démarche de ce dernier est plus complète que la description qu’en fait l’appelant. Le juge s’est livré à une analyse détaillée de la crédibilité des parties.

Quant au rejet du moyen de défense d’erreur de fait en lien avec l’existence d’un consentement communiqué, il est vrai que la conclusion du juge à cet égard est sommaire, se limitant à 1 seul paragraphe. Or, l’analyse effectuée est plus complète que ce que prétend l’appelant. Au terme de son analyse, le juge a déterminé que la version de l’appelant n’était pas crédible et qu’elle ne suscitait aucun doute raisonnable. Il avait donc raison d’écarter ce pan des prétentions de l’appelant. Par ailleurs, rien dans la preuve présentée au procès n’aurait été susceptible de rendre recevable une défense fondée sur la croyance sincère mais erronée au consentement communiqué, et ce, même si le juge n’avait pas écarté la version de l’appelant. De manière constante, celui-ci, qui évoquait une atmosphère propice à la séduction, s’est fondé sur sa propre interprétation des faits, ce qui ne peut en soi fonder une défense d’erreur de fait. L’appelant a cherché constamment à nuancer les refus exprimés par la victime, à en diminuer la portée et même à les interpréter comme un consentement potentiel à d’autres gestes. Aucune preuve ne démontre que l’appelant a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement avant les attouchements ou qu’il est possible qu’il ait entretenu une croyance sincère au consentement communiqué. La preuve est plutôt à l’effet contraire: par insouciance ou désintérêt, il a confondu ses désirs avec la réalité et a cru que ses impressions subjectives l’autorisaient à se livrer à des attouchements. En ce sens, le juge était fondé à ne pas retenir la défense d’erreur de fait invoquée par l’appelant.

Finalement, les contradictions et les enjeux de fiabilité dans le témoignage de la victime ne permettent pas de conclure que le verdict est déraisonnable. Déterminer, comme le propose l’appelant, qu’une victime n’est pas crédible parce qu’elle témoigne qu’elle vit un malaise en raison de l’attitude d’un agresseur tout en demeurant polie et rieuse représenterait une application indirecte de vieux mythes et stéréotypes désavoués depuis longtemps.

Instance précédente : Juge Serge Champoux, C.Q., Chambre criminelle et pénale, Saint-François (Sherbrooke), 450-01-123922-218, 2023-07-12, 2023 QCCQ 4540, SOQUIJ AZ-51953779.

Réf. ant : (C.Q., 2023-07-12), 2023 QCCQ 4540, SOQUIJ AZ-51953779, 2023EXP-1941; (C.Q., 2023-12-08), 2023 QCCQ 9868, SOQUIJ AZ-51989827, 2024EXP-348.

Suivi : Demande pour suspendre l’exécution de la peine, 07-12-2023 (C.S.), 450-36-001283-234. Requête pour permission d’appeler, 2024-05-22 (C.A.), 500-10-008224-246.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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