Les limites d’une preuve d’activité sexuelle antérieure : les mythes et stéréotypes
Par Anne-Geneviève Robert, avocate et Sofia Landry, Étudiante
En matière de preuve d’activité sexuelle antérieure, la Cour suprême du Canada a rendu une décision importante dans l’affaire R. c. T.W.W, 2024 CSC 19 en mettant en lumière les critères d’admissibilité de la preuve d’activité sexuelle antérieure. La Cour a rejeté l’appel d’un accusé concernant l’admissibilité d’une telle preuve dans un cas d’agression sexuelle.
Contexte : Preuve d’activité sexuelle antérieure
L’affaire concerne l’accusé, T.W.W., qui a été reconnu coupable d’agression sexuelle sur la plaignante, avec qui il avait précédemment eu une relation amoureuse pendant plus de vingt ans. Après leur séparation, une interaction sexuelle consensuelle puis une allégation d’agression sexuelle le jour suivant ont été au centre du litige. La demande de l’accusé de faire admettre la preuve de l’activité sexuelle consensuelle précédente comme élément de défense a été refusée par le juge de première instance, position qui a été soutenue en appel. En effet, l’accusé plaidait une défense de consentement. Le juge de 1ère instance a statué que « les événements du 1er avril n’étaient pas pertinents quant au consentement le 2 avril. Il n’a pas retenu l’argument de l’appelant selon lequel les événements du 1er avril et ceux du 2 avril formaient un événement continu.1 » Il a également conclu que ce dernier cherchait à présenter cette preuve « dans le but prohibé de plaider que la plaignante était plus susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle reprochée ou qu’elle était moins digne de foi 2». En Cour d’appel, les juges majoritaires ont statué que la preuve d’une relation sexuelle consensuelle le 1er avril ne pouvait pas étayer une défense voulant qu’il n’y ait pas eu d’agression sexuelle le 2 avril.
Décision : Rejet de la preuve d’activité sexuelle antérieure
Dans le jugement R. c. T.W.W., la Cour a souligné la finalité de l’article 276 du Code criminel, qui prohibe expressément l’emploi de preuves relatives à des activités sexuelles antérieures qui visent à étayer un des deux mythes, soit ceux alléguant que la plaignante est moins digne de foi ou qu’elle est plus susceptible d’avoir consenti à l’activité sexuelle en question et ce, en raison du caractère sexuel du comportement antérieur. Cette disposition législative est conçue pour sauvegarder la dignité et protéger la vie privée des victimes d’agression sexuelle, tout en garantissant l’intégrité et l’équité des procédures judiciaires.
Le tribunal a examiné la défense de l’accusé, lequel avançait une défense de consentement. Les juges majoritaires ont conclu que cette défense n’était pas suffisamment étayée par les faits et que la connexion supposée entre les événements des deux jours n’était pas démontrée de manière convaincante. Ils ont mentionné que T.T.W. « n’a pas spécifié de manière suffisante une utilisation précise de la preuve qui ne reposait pas sur un raisonnement fondé sur les deux mythes et qui était essentielle à sa capacité de présenter une défense pleine et entière.3 » En effet, la législation exige que le défendeur prouve que sans cette preuve spécifique, la preuve qu’il essayait de faire serait non seulement compromise, mais pratiquement insoutenable. Plus précisément, le demandeur doit être en mesure de démontrer « qu’en l’absence de la preuve en cause sa position serait indéfendable ou complètement improbable4 ».
Pour pouvoir appliquer le régime de l’article 276 du Code criminel qui permettrait à l’accusé d’utiliser la preuve d’une activité sexuelle antérieure, l’accusé doit démontrer:
- que cette preuve n’est pas présentée afin de permettre d’étayer les deux mythes;
- que cette preuve est en rapport avec un élément de la cause;
- que cette preuve porte sur des cas particuliers d’activité sexuelle;
- que le risque d’effet préjudiciable à la bonne administration de la justice de cette preuve ne l’emporte pas sensiblement sur sa valeur probante.
Dans ce cas-ci, la preuve avait une certaine pertinence à l’égard du contexte ou de la crédibilité, mais l’effet préjudiciable à la bonne administration de la justice de cette preuve l’emportait sensiblement sur sa valeur probante5 . De plus, le demandeur n’a pas soulevé une utilisation de la preuve de l’activité sexuelle antérieure qui ne s’appuyait pas sur un raisonnement fondé sur les deux mythes.
Par conséquent, la demande d’admettre la preuve d’activité sexuelle antérieure a été rejetée, reflétant la rigueur avec laquelle les tribunaux doivent traiter les arguments basés sur des prétentions de consentement présumé dans le contexte d’accusations d’agression sexuelle.
Commentaire sur la décision de rejet
La décision illustre clairement la ligne fine entre le droit à une défense pleine et entière et le risque de préjudice pour les victimes d’agression sexuelle. Elle rappelle aux praticiens du droit l’importance de naviguer avec prudence dans l’utilisation de preuves sensibles.
De plus, dans cet arrêt, une autre question au cœur du litige est de savoir si la Cour suprême du Canada est tenue à l’obligation de huis clos prévue l’article 278.93 du Code criminel. Grâce à leur compétence implicite, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rendre des ordonnances relatives à la conduite d’une audience, y compris des ordonnances intimant la tenue de l’audience à huis clos et la mise sous scellé des documents déposés. Le principe de la publicité des débats est mis en balance avec d’autres intérêts dignes de protection, tels les objectifs législatifs qui sous tendent le régime de l’art. 276 du Code criminel. La Cour en est venue à la conclusion que la Couronne n’a pas établi que le risque d’atteinte à la vie privée et à la dignité de la plaignante nécessite une ordonnance d’audition à huis clos ou une ordonnance de mise sous scellé.
Également, la Cour suprême du Canada a, dans cette affaire, traité de la norme de contrôle sur une question comme celle-ci.
Lisez l’affaire R. c. T.W.W, 2024 CSC 19 sur le rejet de la preuve d’activité sexuelle antérieure.
Découvrez d’autres articles en matière d’agressions sexuelles :
[1] R. c. T.W.W., 2024 CSC 19, par. 13.
[2] Id., par. 13.
[3] Id., par. 5.
[4] Id., par. 28.
[5] Id., par. 41.
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