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Sophie Estienne
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07 Oct 2024

Clauses de départ en coopérative : La Cour d’appel tranche dans l’affaire Coopérative d’habitation Clair de Lune de Pointe-Saint-Charles c. Dumberry

Par Sophie Estienne, avocate

Dans l’affaire opposant la Coopérative d’habitation Clair de Lune à Mme Dumberry[1], la Cour d’appel du Québec a clarifié une question clé concernant les compétences juridictionnelles. Le tribunal a conclu que seul le Tribunal administratif du logement (TAL) est habilité à trancher les litiges portant sur des clauses de départ relatives à la non-reconduction de baux dans une coopérative d’habitation, même lorsque ces clauses sont incluses dans des règlements internes ou des contrats de membre. Cette décision réaffirme l’importance du TAL dans les questions locatives, même dans un contexte de coopératives.

Contexte

Mme Dumberry, membre de la coopérative, a été exclue par le conseil d’administration de celle-ci, ce qui, selon les règlements de la coopérative et son contrat de membre, entraînait la non-reconduction de son bail et son départ du logement à la fin de la période locative. Mme Dumberry a déposé un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure pour contester cette décision, demandant notamment l’annulation des clauses de départ qu’elle jugeait illégales.

Le juge de première instance a validé l’exclusion de Mme Dumberry en tant que membre, estimant que la décision du conseil d’administration était raisonnable et respectait les principes d’équité procédurale. Cependant, il a également déclaré illégales les clauses de départ contenues dans le contrat de membre et dans les règlements, considérant que la Cour supérieure avait compétence sur l’ensemble du litige, y compris la validité des clauses touchant à son bail. La coopérative a fait appel de cette décision.

Décision

La Cour d’appel, composée des juges C. Baudouin, S. Sansfaçon et S. Lavallée, a accueilli l’appel de la Coopérative d’habitation Clair de Lune, mettant en lumière plusieurs aspects cruciaux liés à la compétence juridictionnelle. L’enjeu central portait sur la validité des clauses dites de « départ », stipulant qu’un membre démissionnaire ou exclu de la coopérative est réputé renoncer à son bail et doit quitter son logement à l’échéance de ce dernier. Bien que ces clauses soient inscrites dans le contrat de membre et le règlement interne de la coopérative, elles avaient pour effet de régir la relation locative entre la coopérative et Mme Dumberry.

La Cour d’appel a jugé que la Cour supérieure avait commis une erreur de droit en se prononçant sur la validité des clauses de départ. Elle a statué que la question principale ne concernait pas uniquement la relation entre un membre et une coopérative, mais bien la relation locataire-locateur, qui relève exclusivement de la compétence du TAL selon l’article 28 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement. Cette disposition confère au TAL une compétence exclusive sur les litiges relatifs à un bail de logement ou résidentiel, y compris ceux portant sur la validité des clauses touchant au maintien dans les lieux.

La Cour d’appel a également souligné que la véritable nature du litige était la validité des clauses de départ prévoyant la non-reconduction du bail en cas d’exclusion ou de démission. Ces clauses, même si elles figuraient dans le contrat de membre et le règlement interne, constituaient de facto une renonciation anticipée au droit au maintien dans les lieux prévu à l’article 1936 du Code civil du Québec. La Cour a jugé que la compétence du TAL s’étend à toutes les dispositions qui affectent directement le droit des locataires, et que permettre à la Cour supérieure d’intervenir sur de telles questions reviendrait à contourner l’autorité exclusive du TAL.

De plus, la Cour d’appel a expliqué que dans le cadre d’une coopérative d’habitation, le contrat de membre est subordonné au contrat de bail. La relation de membre découle de la qualité de locataire dans la coopérative, mais la relation locative demeure distincte et régie par les lois locatives du Québec, sous la juridiction du TAL.

En conséquence, la Cour d’appel a statué que la Cour supérieure n’avait pas la compétence pour statuer sur la validité des clauses de départ en question. Ce pouvoir appartient exclusivement au TAL. Le jugement de première instance a donc été partiellement renversé, et la Cour a ordonné que le TAL soit saisi du litige pour décider de la légalité des clauses de départ.

Conclusion

Cette décision de la Cour d’appel clarifie la délimitation des compétences entre la Cour supérieure et le TAL dans le contexte des coopératives d’habitation. Le TAL est reconnu comme l’unique autorité compétente pour trancher les litiges liés aux baux résidentiels, même lorsque ceux-ci sont enchevêtrés dans des clauses de règlements internes ou de contrats de membre.

À noter que, le même jour, la Cour d’appel a également été saisie de questions similaires dans le dossier Coopérative d’habitation du canal de Pointe-Saint-Charles c. McLean, 2024 QCCA 1056. Toutefois, dans cette affaire, la Cour a refusé de trancher les questions soulevées, car le membre n’était plus membre de la coopérative depuis le 10 novembre 2022. Par conséquent, la Cour a jugé l’appel théorique et sans objet. Cette distinction souligne l’importance des circonstances spécifiques dans chaque cas.

Le texte intégral de la décision de la Cour du Québec est disponible ici.


[1] Coopérative d’habitation Clair de Lune de Pointe-Saint-Charles c. Dumberry, 2024 QCCA 1052.

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