Harvey c. Ville de Québec (Service de police), 2024 QCCS 3727
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
RESPONSABILITÉ : Dans le contexte d’une intervention policière et ambulancière auprès d’un homme intoxiqué à la cocaïne, les ambulanciers auraient dû requérir des policiers que ce dernier soit menotté les mains à l’avant, de sorte que le massage cardiorespiratoire n’aurait pas débuté avec les menottes dans le dos; toutefois, il n’y a pas de lien de causalité entre cette faute et le décès de l’individu.
2024EXP-2655**
Intitulé : Harvey c. Ville de Québec (Service de police), 2024 QCCS 3727
Juridiction : Cour supérieure (C.S.), Québec
Décision de : Juge Marie-Paule Gagnon
Date : 4 octobre 2024
Références : SOQUIJ AZ-52064134, 2024EXP-2655 (130 pages)
RESPONSABILITÉ — responsabilité du fait des autres — commettant — municipalité — policier municipal — Coopérative des techniciens ambulanciers du Québec — ambulancier — intervention policière — motif raisonnable de croire à la commission d’une infraction — personne intoxiquée — cocaïne — introduction par effraction — vol — maison d’habitation — fuite — urgence d’agir — obligation de moyens — planification de l’intervention — syndrome du délire agité — techniques de désescalade — pose de menottes — filet anti-crachat — obligation de prudence et de diligence — usage d’un appareil défibrillateur semi-automatique — masque d’oxygène à haute concentration — omission d’exiger que le patient soit menotté les mains à l’avant — arrêt cardiorespiratoire — décès — rapport d’intervention préhospitalière — lien de causalité — fardeau de la preuve — appréciation de la preuve — preuve d’expert — témoignage — crédibilité.
MUNICIPAL (DROIT) — responsabilité — commettant — policier — intervention policière — motif raisonnable de croire à la commission d’une infraction — personne intoxiquée — cocaïne — introduction par effraction — vol — maison d’habitation — fuite — urgence d’agir — obligation de moyens — obligation de prudence et de diligence — planification de l’intervention — syndrome du délire agité — techniques de désescalade — pose de menottes — filet anti-crachat — arrêt cardiorespiratoire — décès — lien de causalité — fardeau de la preuve — appréciation de la preuve — preuve d’expert — témoignage — crédibilité.
RESPONSABILITÉ — responsabilité du fait personnel — ambulancier — intervention policière — personne intoxiquée — cocaïne — obligation de moyens — obligation de prudence et de diligence — usage d’un appareil défibrillateur semi-automatique — masque d’oxygène à haute concentration — omission d’exiger que le patient soit menotté les mains à l’avant — arrêt cardiorespiratoire — décès — rapport d’intervention préhospitalière — lien de causalité — fardeau de la preuve — appréciation de la preuve — preuve d’expert — témoignage — crédibilité.
RESPONSABILITÉ — éléments généraux de responsabilité — lien de causalité — théorie de la causalité adéquate — théorie de la causalité immédiate — théorie de la prévisibilité raisonnable des conséquences — théorie de l’équivalence des conditions — responsabilité — policier — ambulancier — arrêt cardiorespiratoire — décès — intoxication — cocaïne — fardeau de la preuve.
PROCÉDURE CIVILE — dispositions générales — publicité des débats — caractère public des audiences — ordonnance de confidentialité — mise sous scellés — service de police — procédures opérationnelles — directives administratives — fardeau de la preuve — risque sérieux — intérêt public important — proportionnalité — appréciation de la preuve.
PROCÉDURE CIVILE — incidents — modification d’un acte de procédure (amendement) — demande introductive d’instance — ajout d’une réclamation — dommage non pécuniaire — absence de demande entièrement nouvelle — intérêt de la justice.
Demande en réclamation de dommages non pécuniaires et de dommages-intérêts (280 205 $). Rejetée.
Le père et la soeur de Bruno-Pierre Harvey poursuivent en responsabilité la Ville de Québec, pour le Service de police de la Ville de Québec, et la Coopérative des techniciens ambulanciers du Québec (CTAQ) relativement aux interventions policière et ambulancière réalisées le 6 septembre 2020 auprès d’Harvey. Celles-ci sont survenues à la suite d’un appel au service d’urgence 9-1-1 rapportant l’entrée par effraction d’un jeune homme confus et torse nu dans un domicile. Harvey, alors âgé de 28 ans, était intoxiqué à la cocaïne; il a mentionné avoir des problèmes et a quitté les lieux en emportant un livret de prières et en y laissant son téléphone cellulaire. Il a fait un arrêt cardiorespiratoire au cours des interventions des policiers et des ambulanciers et son décès a été constaté à l’hôpital, où il avait été transporté en ambulance.
Décision
Responsabilité des policiers
Le soir du 6 septembre 2020, les patrouilleurs Boulet et Simms-Jacques ont été les premiers à intervenir auprès d’Harvey. La preuve révèle que les policiers ne pouvaient conclure que ce dernier souffrait du syndrome du délire agité (SDA) ou qu’il était en crise. Toutefois, dès que leurs observations ont permis de déterminer qu’Harvey souffrait vraisemblablement d’un SDA, soit lors de la pose des menottes, une ambulance a été appelée sans délai. D’autre part, il y avait urgence d’agir, compte tenu: i) de l’environnement, soit un quartier résidentiel; ii) du comportement d’Harvey, notamment de sa fuite et de son refus d’obtempérer); iii) de l’ignorance des policiers quant à la présence ou non d’une arme; et iv) des motifs raisonnables et probables de croire qu’une entrée par effraction dans une maison d’habitation avait été commise. La planification minimale découlait donc de ces circonstances et était adéquate. La maîtrise d’Harvey par le bras en employant la technique d’escorte était aussi appropriée. La réaction de ce dernier, qui a raidi le bras et a tenté de se défaire de la prise, a rendu nécessaire l’intervention pour l’amener au sol, laquelle n’était pas un plaquage, mais un «accompagnement au sol».
À l’arrivée des policiers Marcotte et Lévesque, quelques secondes après la pose des menottes, Harvey a été placé en position latérale de sécurité et cette position a été maintenue. Ensuite, un filet anti-crachat a été installé sur sa tête puisque Harvey postillonnait et criait. Ce filet, qui n’est pas contre-indiqué, était susceptible de protéger les policiers, notamment contre la COVID-19 étant donné le contexte pandémique. L’état de conscience de même que la capacité de respirer d’Harvey ont été vérifiés pendant toute l’intervention policière et ne faisaient aucun doute jusqu’à l’arrivée des ambulanciers, lorsque ce dernier a été installé sur une civière. Or, il n’est pas contesté que Boulet a entamé la réanimation cardiorespiratoire d’Harvey tandis que celui-ci était menotté dans le dos. La patrouilleuse prenait alors le relais d’un ambulancier qui avait entamé ces manoeuvres après qu’on eut constaté qu’Harvey avait les yeux révulsés, qu’on lui eut mis un masque à oxygène à haute concentration et qu’un ambulancier eut noté l’absence de pouls. Il aurait été préférable de retirer les menottes dès le début du massage cardiaque, mais il valait probablement mieux commencer la manoeuvre sans délai. D’ailleurs, dès l’arrivée d’un second policier dans l’ambulance, les menottes ont pu être retirées.
Les demandeurs ne se sont pas déchargés du fardeau qui leur incombait de démontrer au moyen d’une preuve claire et convaincante que les policiers n’avaient pas agi comme l’aurait fait un policier prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances, alors que l’issue de l’intervention n’était pas connue. Dans le présent cas, les policiers ont évalué en continu la situation, ils se sont adaptés suivant les constats effectués au cours de leur intervention, ils ont changé leur approche lorsque cela était requis et ils ont agi raisonnablement afin d’assurer leur sécurité, celle du public et celle d’Harvey, le tout conformément au «Modèle national de l’emploi de la force». Le décès de ce dernier n’est pas attribuable à quelque faute que ce soit des policiers.
Responsabilité des ambulanciers
La défenderesse CTAQ, à titre de commettante des ambulanciers, est responsable de réparer le préjudice causé, le cas échéant, par la faute de ses préposés dans l’exécution de leur fonction (art. 1463 du Code civil du Québec). L’obligation de l’ambulancier est une obligation de moyens et non de résultat; celui-ci doit fournir des soins conformément aux protocoles d’intervention clinique à l’usage des ambulanciers-paramédics élaborés par le ministre et vérifier les signes ou symptômes permettant leur application. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas démontré que les ambulanciers avaient commis une faute en n’installant pas les électrodes de l’appareil défibrillateur semi-automatique au début de leur intervention. Les ambulanciers n’ont pas non plus commis de faute en ce qui a trait au masque d’oxygène à haute concentration, que ce soit quant à son indication ou au moment de sa mise en place. Par ailleurs, le fait de ne pas avoir retiré le filet anti-crachat dès la prise en charge des ambulanciers ne constitue pas une faute. En effet, un manquement aux règles de l’art n’a pas été démontré à cet égard, la preuve établissant plutôt que ce filet anti-crachat n’empêche pas de voir le visage, les yeux et le teint de la personne qui le porte, qu’il n’obstrue pas la respiration et qu’il permet une évaluation adéquate. D’ailleurs, les ambulanciers et Boulet ont noté les yeux révulsés d’Harvey alors que le filet anti-crachat était toujours en place. Cependant, les règles de l’art commandaient que les ambulanciers demandent aux policiers, au début de leur intervention, qu’Harvey soit menotté les mains à l’avant. Or, la preuve révèle que, alors qu’Harvey avait les menottes dans le dos et qu’un bras était resté sous lui au cours du massage cardiorespiratoire, seulement 2 compressions ont été évaluées comme n’étant pas assez fortes par l’appareil d’aide au massage cardiorespiratoire, lesquelles ont immédiatement été suivies d’un message indiquant une «bonne compression». De plus, en tout temps lors du massage cardiorespiratoire, les épaules et les omoplates d’Harvey étaient bien appuyées sur la civière. Le tribunal ne peut donc conclure qu’il existe une preuve prépondérante de l’inefficacité générale des manoeuvres de réanimation, que ces 2 compressions inefficaces ou moins efficaces ont eu une incidence sur les chances de survie d’Harvey ou, encore moins, que, n’eussent été ces 2 compressions, ce dernier aurait survécu. Quant à la faute commise dans la rédaction du rapport d’intervention préhospitalière, elle n’a eu aucune conséquence sur le décès. En fait, il a été démontré que, sans l’intoxication volontaire d’Harvey à la cocaïne, alors qu’il connaissait ses effets, celui-ci ne serait pas décédé de cette intoxication ou du SDA engendré par cette intoxication.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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