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Nadim Paul Fares
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03 Déc 2024

Traités historiques et droits constitutionnels : un arrêt clé de la Cour suprême sur la réparation de la violation centenaire des Traités Robinson

Par Nadim Paul Fares, Avocat

La nature constitutionnelle des traités et les règles d’interprétation des traités historiques entre la Couronne et les peuples autochtones jouent ont une fonction essentielle dans la protection des droits des communautés autochtones. La récente décision de la Cour suprême du Canada, Ontario (Procureur général) c. Restoule, 2024 CSC 27, démontre la nécessité de tenir compte du contexte historique et de l’honneur de la Couronne afin d’accomplir l’objectif de réconciliation promu par le Canada.

Contexte :

En 1850, donc avant la formation du Canada, la Couronne conclut deux traités avec les Anichinabés du lac Huron (Traité Robinson‑Huron) et les Anichinabés du lac Supérieur (Traité Robinson‑Supérieur). Ces traités disposent que la Couronne doit payer des annuités aux deux groupes et majorer ces annuités suivant certaines circonstances en échange de la cession de leurs territoires. La Couronne a effectué une unique augmentation en 1875 et versait jusqu’à maintenant 4$ par personne depuis près de 150 ans.

Les deux groupes Anichinabés avaient introduit leurs recours en 2014 et 2001 respectivement. La Cour Supérieure de l’Ontario avait joint les dossiers des demandeurs, mais elle subdivisait le tout en trois étapes pour bien répondre à toutes les questions qui seront posées. La première étape concerne l’interprétation des traitées, la seconde analyse l’immunité de la Couronne, et la troisième concerne les dommages et les réparations. La troisième étape n’a été pertinente que pour les Anichinabés du Lac Supérieur qui demandent 126,285 milliards de dollars, les Anichinabés du Lac Huron ayant négocier en 2022-2023 un montant de 10 milliards en réparations. La première et seconde étape font l’objet de la présente décision. La décision de la Cour Suprême a mis fin à la suspension de la troisième étape devant la Cour Supérieure.

Décision :

L’arrêt rappelle les principes d’interprétation des traités conclus avec les peuples autochtones. Il faut faire une distinction entre traité historique, qui s’interprète libéralement en faveur des peuples autochtones en considérant le contexte historique, et traité moderne[1], qui s’interprète suivant des principes d’interprétation contemporains. Vu la nature constitutionnelle de ces traités historiques, la nécessité de mettre en action l’honneur de la Couronne et la nécessité d’une uniformité de jurisprudence, l’interprétation des traités historiques conclus entre la Couronne et les peuples autochtones est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Mais il faut être vigilant car les questions de fait d’un jugement demeurent contrôlables uniquement en cas d’erreur manifeste et déterminante.

Le procureur général de l’Ontario a soulevé des moyens de prescriptions de l’action conformément à une loi provinciale. Pour conclure que l’action n’est pas prescrite la Cour suprême détermine que les revendications fondées sur des traités ne reposent pas sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle : elles reposent sur des droits constitutionnels, qui soulèvent des questions de droit public plutôt que de droit privé. Il refuse aussi de classer ce recours dans des catégories de recours de Common Law comme l’action en reddition de comptes et d’atteinte indirecte (intégrées dans la loi de l’Ontario intitulée Loi sur la prescription des actions de 1990[2])

Concernant l’interprétation, les Traités Robinson se sont écartés du modèle d’annuité fixe utilisé dans d’autres traités. La clause d’augmentation révèle une certaine idée générale de partage des revenus futurs des territoires cédés. Ils créent une obligation à la Couronne d’exercer avec diligence son pouvoir discrétionnaire d’augmenter les annuités si les conditions économiques le permettent. Les jugent concluent que les traités en question ne créent aucune obligation fiduciaire. Ceci est conforme au principe d’interprétation d’honneur de la Couronne.

Relativement à l’application des traités, l’honneur de la Couronne impose aux gouvernements d’agir honorablement avec les peuples autochtones. Le Canada et l’Ontario reconnaissaient qu’ils n’avaient pas agi avec diligence dans l’augmentation des annuités. Depuis 1875, la Couronne a omis de se demander si elle pouvait majorer les annuités, et a donc manqué à son obligation de diligence dans la mise en œuvre de la clause d’augmentation des traités, quant au montant et à la fréquence des augmentations. La Cour suprême, ne mâchant pas ses mots, indique dans cet arrêt :

« Le manquement continu par la Couronne à sa promesse d’augmentation, dans les circonstances, constitue également une violation des traités eux‑mêmes … compte tenu de la durée et du caractère odieux du manquement de la Couronne, un simple jugement déclaratoire ne contribuera pas à réparer la relation prévue par traités ou à rétablir l’honneur de la Couronne » (paragraphes 10 et 11).

Dans ces circonstances, la Cour suprême du Canada rend une décision qui répare d’abord le dommage par un jugement déclaratoire sur la portée des engagements de la Couronne. Elle impose une autre réparation plus concrète puisqu’un « simple jugement déclaratoire risquerait de contraindre les Anichinabés à continuer de compter sur un partenaire de traité sans honneur. Cela serait profondément insatisfaisant et risquerait de laisser encore une fois aux Anichinabés une promesse vide de contenu. » (Paragraphe 287). La Cour suprême ordonne aussi à la Couronne de trouver une entente avec les Anichinabés du lac Supérieur, les Anichinabés du lac Huron ayant déjà été indemnisé par entente depuis le début des procédures. La Couronne doit exercer son pouvoir discrétionnaire et augmenter les annuités rétroactivement. Dans tous les cas, le montant accordée et le processus menant à sa détermination sera sujet à contrôle judiciaire et le juge sursoit à statuer sur les dommages-intérêts pendant six mois pour permettre à la Couronne de faire une offre de réparation.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] Pour une première approche des traités modernes, voir l’article du 22 novembre 2021 de Me Rosine Faucher sur le blogue CRL ”What is the influence of principles applicable to the interpretation of modern treaties, if any, on the Court’s approach to the review of a Minister’s decision?”

[2] Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, c. L.15

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