Retour aux études pour réaliser un rêve : le droit à une pension alimentaire pour l’épouse
Par Magdalena Sokol, LaSalle Sokol
Sokol
LaSalle Sokol,
avocats
Dans l’arrêt Droit de la famille – 122739 (2012 QCCA 1779), la Cour d’appel devait se
pencher sur le quantum, le terme et la rétroactivité de la pension alimentaire
accordée en première instance à l’épouse qui a choisi de se retirer du marché
du travail pour retourner aux études à l’âge de 51 ans.
Faits
Les parties se
sont mariées en 1976 et ont fait vie commune jusqu’en juin 2008, soit pendant
environ 33 ans. Elles ont eu trois enfants, aujourd’hui majeurs et autonomes. Pendant
le mariage, les deux parties ont travaillé à temps plein. À compter de l’année
2002, Madame commence à éprouver des problèmes de santé qui diminuent sa
capacité de gain. En septembre 2008, soit postérieurement à la séparation de
fait des parties, Madame, alors âgée de 51 ans, s’est inscrite au Cégep en
sciences humaines. Puis, en janvier 2009, elle s’est inscrite au cours de
techniques infirmières, un cours de trois ans, ce choix étant « la
réalisation d’un rêve ». Alors qu’elle étudie, Madame travaille à temps
partiel, bénéficie de prêts et bourses et réside chez sa mère sans payer de
loyer. Le 22 septembre 2009, Monsieur a
signifié des procédures judiciaires en divorce à Madame; puis, le 3 février
2010, Madame a signifié à Monsieur sa défense et demande reconventionnelle. Le 25
mars 2010, un consentement à jugement intérimaire a été entériné par la Cour et
Monsieur verse à Madame une pension alimentaire pour elle-même de 500,00 $ par
mois (alors qu’elle en requérait 1 017,33 $ par mois). Aucune mesure
provisoire ne sera plaidée.
Analyse
En première
instance, lors de l’audition des mesures accessoires au divorce, l’honorable
juge François Tôth devait trancher l’unique question en litige, à savoir la
pension alimentaire au bénéfice de Madame; celle-ci requérait une pension
alimentaire de 2 818,58 $ par mois pendant deux ans et rétroactivement au
25 mars 2010 (date de l’ordonnance intérimaire, au lieu de la date de signification
de la demande reconventionnelle).
Tenant compte
des facteurs et des objectifs prévus dans la Loi sur le divorce, les besoins et moyens des parties, de la
décision de Madame de retourner aux études qui diminue sa capacité de gain et
du fait qu’elle réside chez sa mère pendant ses études sans frais, le juge Tôth
a conclu que :
« [29] Madame a subi
un désavantage économique découlant « du mariage ou de son échec ». Elle n’est
pas indépendante financièrement pour deux raisons : ses ennuis de santé depuis
2002 et sa décision de retourner aux études à 51 ans.
[32] À l’audience, Madame demande une
pension alimentaire pour un terme de deux ans. C’est le temps qu’elle estime
nécessaire pour terminer ses études et être autonome. L’éventualité de ne pas
pouvoir terminer dans ce délai ne l’effraie pas. Elle a confiance dans ses
capacités et ses aptitudes. Son parcours varié démontre bien qu’elle a
confiance en elle et il n’est ni téméraire ni déraisonnable pour Madame de
penser ainsi. Il a été décidé que, dans certains cas, une période transition
après le divorce peut être nécessaire à un époux pour réintégrer pleinement le
marché du travail. Dans les circonstances, une obligation alimentaire à terme
est justifiée. »
Ainsi, le juge Tôth a fixé la pension
alimentaire au bénéfice de Madame à 663,00 $ par mois à compter du 22 août 2011
(date à laquelle ses études reprendront) et ce, pour une période de deux ans,
soit au 22 août 2013.
Madame a porté le jugement de
première instance en appel. La Cour d’appel, n’est pas intervenue quant au montant de la
pension alimentaire fixée au bénéfice de Madame.
Quant au terme fixé de la pension alimentaire au bénéfice de
Madame (22 août 2013) et sans possibilité de révision, la Cour d’appel est intervenue :
« [14] À la lecture des échanges entre le juge et
l’appelante, il paraît clairement que le terme de deux ans dont l’appelante
parle représente plutôt une échéance, la fin de son programme d’études, qu’une
période de temps fixe de deux ans. Selon la preuve, le temps requis pour
l’atteinte de l’objectif paraît aléatoire, de sorte que l’extinction du droit
aux aliments à l’arrivée du terme semble prématurée.
[15]
Dans son jugement, et au-delà de ce que l’appelante lui a demandé, le juge ne
discute pas de ce pour quoi il impose un terme : il appuie son raisonnement sur
ce qu’il comprend être la demande de l’appelante. Or, cette demande est plus
nuancée qu’une durée prédéterminée (22 août 2013) alors que l’appelante parle
de la fin ses études.
[16]
Dans ces circonstances, nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’intervenir afin
d’arrimer la date d’autonomie à l’obtention du diplôme par l’appelante.
[17]
Comme le délai est en principe connu (août 2013), mais sujet à des aléas, il
appartiendra à l’appelante d’établir que l’obligation alimentaire a survécu à
l’expiration du délai et d’en faire la démonstration. »
Finalement, quant à la rétroactivité de la
pension alimentaire, la Cour d’appel est également intervenue :
« [18]
Quant à la rétroactivité, le principe est connu : le jugement a un effet
rétroactif à la date de signification de la demande. Dans le présent cas, et
bien que la demande ait été signifiée le 3 février 2010, les parties avaient
indiqué au juge qu’elles acceptaient qu’il utilise plutôt la date du 25 mars
2010, date de l’ordonnance intérimaire sur consentement.
[20] Comme la situation qui prévalait au moment du jugement était
la même que celle qui prévalait au moment de l’ordonnance intérimaire, il ne
suffisait pas de souligner l’existence d’une ordonnance intérimaire pour faire
échec au principe de la rétroactivité. Le dossier ne révèle aucune raison de
déroger au principe applicable.
[21] En
l’absence de telles raisons, nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’intervenir
pour prononcer la rétroactivité de l’ordonnance alimentaire au 25 mars
2010. »
Commentaires
La Cour d’appel a conclu que le terme à la
pension alimentaire de Madame n’était pas définitif, car les conditions
d’application du terme n’étaient pas certaines (date d’obtention du diplôme,
situation de Madame après l’obtention du diplôme); par contre, le fardeau de
preuve incombera à Madame, le cas échéant. Également, le juge saisi de l’instance
en divorce n’est pas lié par l’ordonnance intérimaire qui est faite sans
préjudice aux droits des parties.
Le texte intégral de la décision est
disponible ici.
Intéressant!