Compétence spécialisée et révision judiciaire
Par Sophie Lacroix, Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l.
Par Sophie Lacroix
Pellerin Savitz s.e.n.c.r.l.
La Cour supérieure, ayant entrepris sa propre analyse de l’affaire plutôt que de se rallier aux principes de la décision raisonnable lors de la révision judiciaire d’un jugement de la Commission des relations du travail, voit sa décision renversée par la Cour d’appel dans Benedetti c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (CSN), 2013 QCCA 2088.
Les faits
L’appelant occupe la fonction de chargé de cours chez la mise en cause de 1982 jusqu’à son congédiement en 2009, au motif qu’il aurait, à six reprises, fait de fausses déclarations relatives à son statut d’emploi. La convention collective régit l’attribution des charges de cours en fonction du statut d’emploi qui se répartit en deux catégories : simple emploi ou double emploi (la première référant aux employés n’ayant que des revenus auprès de l’UQAM et, la seconde, aux employés ayant d’autres tâches rémunératrices). Le comité paritaire a relevé les fausses allégations commises par l’appelant et a recommandé son congédiement.
L’appelant déposa un grief qui ne fut pas porté en arbitrage. Il intenta par la suite un recours à la Commission des relations du travail sous l’égide de l’article 47.2 du Code du travail et eut gain de cause aux motifs que l’intimé a illégitimement refusé de porter un grief, ayant des chances de succès, à l’arbitrage, qu’il a traité l’affaire avec désinvolture, arbitraire et discrimination, sans solliciter un avis juridique externe. L’intimé ayant fait défaut dans son devoir de représentation, l’affaire fut renvoyée à l’arbitrage et il fut condamné à verser à l’appelant 6 000 $ en dommages.
La décision fut portée en révision judiciaire par l’intimé. La Cour supérieure accueillit le recours de l’intimé, rejetant ainsi la plainte de l’appelant aux motifs que la décision du commissaire est déraisonnable, ce dernier ayant usurpé le pouvoir d’un arbitre, interprété la convention collective et imposé à l’intimé une obligation de consultation d’un avocat externe.
L’appelant se pourvoit contre cette décision.
Le droit
Bien que la Cour supérieure ait correctement identifié la norme de contrôle applicable, elle n’a pas suivi ces principes. La Cour d’appel est d’avis que la Cour supérieure a réévalué l’ensemble de la preuve et de l’argumentaire, suppléant même son opinion à celle du Commissaire, le tout allant à l’encontre de la décision raisonnable.
Les décisions des organismes spécialisés, tels que la Commission des relations de travail, sont en principe inattaquables, à moins d’utiliser la voie de la révision judiciaire, et son critère sous-jacent de la décision raisonnable, ou certaines exceptions :
« [18] Il n’y a pas de débat sur la norme applicable en l’espèce. Les décisions de la Commission, organisme spécialisé, titulaire d’une mission juridictionnelle exclusive et protégé de surcroît par une disposition d’inattaquabilité absolue, sont ordinairement sujettes à révision judiciaire selon la norme de la raisonnabilité. Il existe quelques exceptions à cette règle : la question de la violation directe des règles de justice naturelle, les questions constitutionnelles, les questions de compétence au sens strict (vires) du terme, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique et étrangères à son domaine d’expertise entraîneront plutôt l’application de la norme de la décision correcte. »
Lorsque la question relève de la compétence intrinsèque d’un tribunal administratif, la norme de contrôle à adopter est celle de la raisonnabilité de la décision. En l’espèce, le litige donne lieu à l’interprétation du Code du travail, compétence spécialisée de la Commission des relations du travail.
La Cour d’appel est d’avis que la Cour supérieure n’a pas suivi le critère de la décision raisonnable, mais celle de la décision correcte, puisqu’elle a analysé l’affaire, outrepassant ainsi ses pouvoirs :
« [21] Or, tout en affirmant fonder son examen de la décision de la Commission sur la norme de la raisonnabilité, la Cour supérieure a plutôt entrepris sa propre analyse de l’affaire, suggérant même ce que devrait être le sens des dispositions de la convention collective, réappréciant les chances de succès du grief, donnant son avis sur la fausseté des déclarations reprochées à l’appelant, réévaluant à tous égards la conduite syndicale, proposant son interprétation de l’article 47.2 (interprétation très formaliste, d’ailleurs), pour conclure enfin au caractère déraisonnable des motifs et de la conclusion du commissaire, auxquels elle ne souscrit manifestement pas. Elle a imposé, dans les faits, ses propres vues.
[22] Avec égards, cet exercice, qui aurait été de mise si la norme de la décision correcte avait été applicable (sous certaines réserves en ce qui concerne l’appréciation des faits), est contraire à la démarche que requiert l’application de la norme de la décision raisonnable. »
Les critères d’une décision raisonnable peuvent se résumer ainsi : intelligibilité, lisibilité, clarté, compréhensibilité, transparence et expression de motifs concordant avec l’état du droit. Après analyse de la décision du commissaire, la Cour d’appel en confirme la raisonnabilité :
« [23] Cela dit, la décision du commissaire est-elle raisonnable? On doit répondre à cette question par l’affirmative. Tant par le fond que la forme, elle est parfaitement intelligible, en ce qu’elle est lisible, claire et compréhensible, elle est transparente, reposant sur des motifs qui sont bien exprimés et qui correspondent à l’état du droit, un droit dont le développement, du reste, relève de la Commission et non des cours supérieures.
[24] Sur ce point, il importe en effet de souligner 1° que la décision du commissaire Monette est conforme aux grands principes reconnus par la jurisprudence en matière de représentation syndicale et dont l’affaire Noël c. Société d’énergie de la Baie James, précitée, fait la synthèse et 2° que, au contraire de ce que lui reproche la juge de première instance, elle use précisément de l’approche flexible que recommande cet arrêt de la Cour suprême. Elle est également conforme à l’enseignement de la Cour suprême dans Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, qui reconnaît que les syndicats ont une latitude moindre et, par conséquent, une obligation de représentation accrue lorsqu’ils doivent défendre les intérêts du salarié ayant fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou, plus encore, d’un renvoi (ce qui est ici le cas, circonstance à laquelle le jugement de première instance n’accorde guère d’importance). Les moyens qu’ils peuvent être tenus de prendre en pareil cas peuvent donc être plus exigeants. Comme l’écrivent les auteurs Morin, Brière, Roux et Villaggi, même s’il n’y a pas de droit absolu à l’arbitrage en cas de congédiement, « [i]l va de soi qu’un syndicat ne peut assimiler un grief en congédiement à tout autre grief de nature pécuniaire ».
[25] Soulignons également que le droit de la représentation syndicale ne s’est pas figé avec l’affaire Noël (ou avec l’affaire Centre hospitalier Régina). Certes, il s’agit là d’un jugement phare, mais, comme indiqué précédemment (voir supra, paragr.), il demeure que c’est à la Commission que le législateur a confié le soin d’interpréter et d’appliquer l’article 47.2 C.t. et de façonner ainsi le corpus applicable, dans une perspective qui, cela va de soi, peut être évolutive.
[26] Sur le plan factuel, la décision du commissaire Monette est tout aussi raisonnable et se trouve entièrement étayée par la preuve : il n’y a rien à redire à sa lecture et à son appréciation des événements et de la crédibilité des intéressés. Le fait de ne pas partager son point de vue sur tel ou tel élément de preuve n’est évidemment pas un motif suffisant d’intervention. »
Il est normal pour un commissaire d’évaluer les chances de succès d’un grief, puisqu’il serait inutile de renvoyer à l’arbitrage un grief ultimement voué à l’échec :
« [29] Tout d’abord, on ne peut pas reprocher ici à la Commission d’avoir usurpé la fonction de l’arbitre de grief. Il était naturel que le commissaire examine les chances de succès du grief, puisqu’il aurait été inutile de renvoyer à l’arbitrage, en vertu de l’article 47.5 C.t., un grief voué à l’échec, sans compter que les chances de succès ou d’insuccès du grief sont à considérer dans l’appréciation du comportement de l’intimé aux fins de l’art. 47.2. L’analyse qu’il fait de la question n’a évidemment rien de final et ne liera aucunement l’arbitre, qui demeure entièrement libre de statuer, à tous égards, sur le grief et de conclure autrement, à la lumière de la preuve et des arguments que lui présenteront les parties. »
C’est à bon droit qu’un arbitre de grief peut examiner les conditions d’imposition d’une sanction disciplinaire, bien qu’un employeur en soit lié :
« [31] Or, les éléments que souligne le commissaire s’imposent en effet d’emblée à l’attention : que le congédiement de l’appelant soit disciplinaire plutôt qu’administratif est une inférence raisonnable, tant au regard du texte de la convention que des agissements de l’employeur; de même, il est raisonnable de conclure que, si la convention collective impose une mesure disciplinaire précise en cas de fausse déclaration sur la situation d’emploi, cela n’empêche aucunement l’arbitre de vérifier si les conditions d’imposition de cette sanction sont remplies. L’employeur, en l’espèce, était peut-être lié par la recommandation du comité de vérification, mais l’arbitre, lui, ne l’est pas et peut conclure que ce comité a mal évalué la situation et indûment recommandé un congédiement que la convention et les faits ne justifiaient pas, ce qui affecte évidemment la décision patronale qui a donné suite à cette recommandation. »
Il est raisonnable, selon la Cour d’appel, que la Commission des relations du travail a conclu à la violation de l’article 47.2 du Code du travail, en se basant sur des fautes cumulatives, dont l’ensemble démontre la déficience de la représentation syndicale, bien que chacune d’entre elles prise isolément, ne puisse engendrer une telle conclusion. :
« [34] Parlant d’ailleurs de ce que devait considérer le commissaire afin de conclure à l’insuffisance de la représentation syndicale en l’espèce, répétons qu’il a considéré tout ce qu’il devait l’être. Qu’il ait vu dans le comportement de l’intimé un mélange d’attitudes tout à la fois discriminatoires, négligentes et arbitraires, qui, ensemble, constituent un manquement au devoir de représentation qu’impose l’article 47.2 C.t. ne saurait être vu comme une erreur. Les catégories qu’énumère cette disposition ne sont pas des compartiments étanches, comme semble le croire l’intimé, et il n’est aucunement déraisonnable de conclure à la violation de cette disposition sur la base d’une série de fautes cumulatives dont chacune, à elle seule, n’aurait peut-être pas emporté une telle conclusion, mais dont l’ensemble révèle le caractère gravement déficient de la représentation syndicale.
[35] Le traitement accordé au grief de l’appelant, et c’est ce qui ressort de la décision du commissaire, a été superficiel et axé uniquement sur la protection d’intérêts supposément collectifs, avec fort peu d’égards pour les faits particuliers de l’espèce. À tout le moins cette conclusion appartenait-elle à la gamme des issues raisonnablement possibles au regard des faits et du droit et cela aurait dû suffire à entraîner le rejet de la requête en révision judiciaire. »
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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