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SOQUIJ
Intelligence juridique
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20 Déc 2013

Travail: Afin de conclure l’entente permettant la titularisation accélérée de nombreux employés dans des fonctions supérieures, le syndicat a dû faire certains compromis; rien n’indique qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire à ce propos de manière capricieuse, arbitraire ou discriminatoire.

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

2013EXP-4002 
Intitulé : Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069
Juridiction : Cour d’appel (C.A.), Montréal, 500-09-022897-128
Décision de : Juges André Rochon, Marie St-Pierre et Dominique Bélanger (diss.)
Date : 2 décembre 2013

Références : SOQUIJ AZ-51023996, 2013EXP-4002, 2013EXPT-2310, J.E. 2013-2181, D.T.E. 2013T-846 (37 pages). Retenu pour publication dans le recueil [2013] R.J.D.T.

Le jugement de la Cour supérieure ayant conclu que l’instance de révision de la Commission des relations du travail n’aurait pas dû intervenir à l’égard d’une décision d’un commissaire et ayant rétabli celle-ci est confirmée.

Résumé
TRAVAIL — association de salariés et droit d’association — devoir de représentation du syndicat — conduite invoquée — entente patronale-syndicale — emploi — titularisation — établissement d’une liste de salariés ne pouvant postuler en raison de leurs restrictions — absence de discrimination — plainte rejetée.
TRAVAIL — Commission des relations du travail (CRT) — compétence — révision judiciaire — décision de la CRT en révision — devoir de représentation du syndicat — discrimination — vice de fond — norme de contrôle — décision raisonnable.

ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — cas d’application — divers — Commission des relations du travail — révision administrative — vice de fond — devoir de représentation du syndicat — négociation d’une entente — discrimination — norme de contrôle — décision raisonnable.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — motifs de discrimination — état civil (et situation de famille) — emploi — convention collective — entente patronale-syndicale — clause discriminatoire — exclusion du droit à la titularisation — situation personnelle — parent d’un enfant handicapé — disponibilité.

DROITS ET LIBERTÉS — droit à l’égalité — actes discriminatoires — emploi — titularisation — exclusion — manque de disponibilité — parent d’un enfant handicapé — aidant naturel — absence de discrimination fondée sur l’état civil ou la situation de famille.

Appel d’un jugement de la Cour supérieure ayant accueilli en partie une requête en révision judiciaire d’une décision de la Commission des relations du travail (CRT). Rejeté, avec dissidence.

Le syndicat a conclu une lettre d’entente avec l’employeur afin d’accélérer et de faciliter la titularisation dans diverses fonctions. Dans le contexte des négociations ayant mené à la conclusion de cette entente, il a consenti à une demande de l’employeur voulant que certains salariés expressément mentionnés, dont l’appelante Beauchesne, ne puissent s’en prévaloir en raison de leurs restrictions permanentes. Malgré la clause d’exclusion, cette dernière a tenté d’obtenir sa titularisation dans la fonction supérieure qu’elle occupait depuis quelques années. L’employeur a rejeté sa demande. Beauchesne a voulu que le syndicat poursuive jusqu’au bout un grief, mais celui-ci a refusé de le faire. Elle a donc déposé une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail (C.tr.), reprochant au syndicat d’avoir contrevenu à son devoir de représentation en négociant une entente discriminatoire. Sa plainte a été entendue en même temps que celle d’un collègue (Martin) visé par l’exclusion en raison d’un handicap. La CRT a rejeté les deux plaintes (CRT 1). Estimant que cette décision était entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider, l’instance de révision de la CRT l’a révoquée et a accueilli les plaintes (CRT 2). La Cour supérieure a accueilli en partie la requête en révision judiciaire formulée par le syndicat. Elle a conclu que celui-ci avait manqué à son devoir de représentation, mais uniquement à l’égard de Martin. Beauchesne interjette appel du jugement.

Décision
Mme la juge St-Pierre, à l’opinion de laquelle souscrit le juge Rochon : En présence d’une intervention de CRT 2, le juge devait vérifier s’il était déraisonnable pour cette formation de conclure que CRT 1 était entachée d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider. La lecture du paragraphe 50 de son jugement permet de conclure qu’il a bien compris l’exercice auquel il devait se livrer.

Beauchesne a tort de soutenir que le résultat différent retenu dans son cas et dans celui de Martin indique que le juge a commis plusieurs erreurs. Devant toutes les instances, les dossiers ont été traités indépendamment l’un de l’autre. Le résultat obtenu ne peut être qualifié de choquant ou d’importun. Le juge n’a pas non plus substitué son interprétation des faits à celle retenue par CRT 2. D’autre part, en distinguant l’«aptitude à l’assignation» de l’«aptitude à la titularisation», il n’a pas ajouté à la convention collective puisque cette distinction en fait partie intégrante. La prétention de Beauchesne selon laquelle la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne s’appliquent en l’espèce est sans fondement. Dans ses relations avec ses membres, le syndicat n’est pas assujetti à la charte canadienne. De plus, suivant les termes de la charte québécoise, il n’y a de discrimination qu’en présence d’une distinction, d’une exclusion ou d’une préférence résultant de l’un des motifs énoncés à l’article 10. Beauchesne en propose trois — état civil, handicap et moyen pour pallier le handicap —, mais aucun d’eux ne s’applique. En effet, elle n’est pas handicapée et elle ne fait pas usage d’un moyen pour pallier un handicap. C’est son fils qui souffre d’un handicap et sa présence auprès de lui constitue un moyen de le pallier. En outre, elle n’est pas exclue parce qu’elle est parent, mais en raison de sa non-disponibilité pour occuper la fonction durant tous les quarts de travail. Ainsi, comme l’a retenu le juge, il était déraisonnable pour CRT 2 d’intervenir au motif que le syndicat avait «favorisé les titulaires de fonctions à combler au détriment des salariés inscrits sur la liste pour un motif incompatible avec les droits de la personne» (paragr. 64).

Par ailleurs, le concept de discrimination au sens du Code du travail est plus large que celui énoncé dans les chartes. Aux fins de l’article 47.2 C.tr., une disparité de traitement non justifiée par le contexte de la représentation syndicale et les relations du travail peut constituer de la discrimination. Toutefois, il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue à l’égard du pouvoir discrétionnaire exercé par un syndicat dans l’analyse de son obligation de juste représentation à l’étape de la négociation d’une convention collective ou d’une lettre d’entente relative à celle-ci. L’entente négociée par le syndicat comporte une différence de traitement à l’égard de certains salariés, mais elle inclut d’importants effets bénéfiques pour l’ensemble des membres du syndicat. Afin de conclure cette entente permettant la titularisation accélérée de nombreux employés dans des fonctions supérieures, il lui a fallu faire certains compromis. Rien ne permet d’affirmer qu’il a exercé sa discrétion à ce propos de manière capricieuse, arbitraire ou discriminatoire. Dans le cas de Beauchesne, et comme l’a décidé CRT 1, le syndicat a agi dans l’intérêt collectif.

Mme la juge Bélanger, dissidente : Une grande déférence doit être accordée à CRT 2 dans son examen de ce qui constitue ou non un vice de fond, compte tenu du caractère spécialisé des questions qui lui sont soumises et de sa compétence exclusive pour en décider. Ainsi, le juge ne devait intervenir à l’égard de cette décision que si elle était déraisonnable. Or, bien qu’il ait établi la bonne norme de contrôle, il a simplement substitué son opinion à celle de CRT 2, sans véritablement expliquer en quoi cette décision était déraisonnable. Son raisonnement indique qu’il a plutôt effectué un choix entre le raisonnement de CRT 2 et celui de CRT 1 et qu’il a décidé d’adhérer à ce dernier. Entre autres choses, le juge n’explique pas en quoi CRT 2 est déraisonnable lorsqu’elle conclut que le syndicat n’a pas fait les efforts raisonnables afin de s’acquitter de son obligation d’examiner sérieusement la situation de Beauchesne. De plus, son étude quant au caractère discriminatoire de l’exclusion se limite à décider que celle de Beauchesne ne contrevenait pas à la charte québécoise, éliminant tout l’aspect de la discrimination au sens de l’article 47.2 C.tr. au sujet duquel CRT 2 s’est prononcée. Ce n’est pas en fonction de caractéristiques générales et communes d’un groupe que l’on a exclu certains salariés de l’entente, mais en fonction de caractéristiques personnelles. Simplement sur le plan du droit à la juste représentation, il y avait matière à requérir de la part du syndicat qu’il fasse la démonstration claire des raisons de cette exclusion ainsi que des démarches effectuées en vue d’éviter ce malheureux résultat. C’est cette démonstration qui n’a pas convaincu CRT 2. Sans même se prononcer sur la question de savoir si la parentalité ou encore la situation d’aidant naturel peut engendrer un motif de discrimination au sens des chartes, il y aurait lieu d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de première instance et de rétablir la décision CRT 2, pour ainsi autoriser Beauchesne à soumettre sa réclamation à un arbitre de griefs.

Instance précédente : Juge Louis-Paul Cullen, C.S., Montréal, 500-17-067581-119, 2012-07-10, 2012 QCCS 4082, SOQUIJ AZ-50889625.

Réf. ant : (C.R.T., 2011-01-17), 2011 QCCRT 0023, SOQUIJ AZ-50714024; (C.R.T., 2011-08-04), 2011 QCCRT 0373, SOQUIJ AZ-50778824, 2011EXP-2707, 2011EXPT-1610, D.T.E. 2011T-562; (C.R.T., 2012-05-22), 2012 QCCRT 0236, SOQUIJ AZ-50860677, 2012EXPT-1234, D.T.E. 2012T-422; (C.S., 2012-07-10), 2012 QCCS 4082, SOQUIJ AZ-50889625, 2012EXP-3337, 2012EXPT-1879, J.E. 2012-1784, D.T.E. 2012T-634; (C.A., 2012-09-13 (jugement rectifié le 2012-10-04)), 2012 QCCA 1637, SOQUIJ AZ-50895077, 2012EXP-3495, 2012EXPT-1971, J.E. 2012-1874, D.T.E. 2012T-674.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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