par
Julien Lussier
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20 Mai 2014

Erreur cléricale et intention des parties

Par Julien Lussier, Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Par Julien Lussier
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Dans Investissements Carolina inc. c. Gourmet Bazar inc. (2014 QCCS 1627), la Cour supérieure a refusé d’accorder l’ordonnance d’expulsion demandée par Investissements Carolina inc, bien que le locataire, Gourmet Bazar inc., ait fait défaut d’envoyer un avis de renouvellement dans les délais requis, et selon la forme prescrite par le bail. La Cour est d’avis que l’erreur cléricale contenue dans le bail quant à la date limite pour exercer l’option de renouvellement ne saurait profiter au stipulant, Investissements Carolina inc., et que l’intention de Gourmet Bazar inc. ressortait clairement de la correspondance des mois et des années qui précédaient l’expiration du terme initial du bail.

Les faits
Le 1er octobre 2002, Investissements Carolina inc., à titre de locateur, et Gourmet Bazar inc., à titre de locataire, signent un bail commercial d’une durée initiale de dix ans se terminant le 31 mai 2012. Le bail prévoit que celui-ci peut être renouvelé pour quatre périodes consécutives de cinq ans et que l’option de renouvellement pour le premier terme de cinq ans est levée par l’envoi d’un avis écrit à cet effet, avant le 30 novembre 2012.
En 2007, Investissements Carolina inc. approche Gourmet Bazar inc. et tente de négocier le départ de cette dernière. Gourmet Bazar inc. rétorque qu’elle ne quittera pas les lieux à moins d’obtenir une compensation monétaire de 1 000 000,00 $ ainsi que des frais d’installation. Autrement, ajoute-t-elle, elle demeurera sur les lieux jusqu’en 2032, tel que le lui autorise le bail.  En 2008, Investissements Carolina inc. tente à nouveau de négocier le départ du locataire, sans succès, Gourmet Bazar inc. exigeant désormais 2 000 000,00 $ à titre de compensation.
Parallèlement, en 2007, un représentant d’Investissements Carolina inc. se présente aux locaux de Gourmet Bazar inc. Il indique alors au locataire qu’il perçoit des odeurs d’épices nauséabondes, et menace de résilier le bail à moins que des correctifs soient apportés. Malgré l’installation d’un échangeur d’air par Gourmet Bazar inc., Investissements Carolina inc. reviendra à la charge via ses procureurs en 2009, sommant Gourmet Bazar inc. de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les odeurs nauséabondes qui, selon le locateur, nuisent à la location des autres locaux de l’immeuble. Une fois de plus, on menace Gourmet Bazar inc. de résilier le bail.  
Cette fois, Gourmet Bazar inc. répond via ses procureurs qu’elle n’a jamais reçu de plaintes de la part de ses clients quant aux odeurs, ajoutant que le locateur ne cherche que des motifs pour résilier le bail, puisque « le loyer convenu entre les parties jusqu’en 2032 est une véritable aubaine pour notre cliente ».
En 2011, les parties fixent une rencontre pour discuter d’une proposition pour relocaliser Gourmet Bazar inc. Le 6 octobre 2011, le locateur reporte la rencontre au 25 octobre 2011, laquelle n’aura finalement pas lieu, faute d’avoir reçu une confirmation de la part du locataire que la rencontre avait bel et bien lieu. Aucune rencontre n’aura finalement lieu entre les parties.
Le 14 mai 2012, Investissements Carolina inc. informe Gourmet Bazar inc. que son bail expirera le 31 mai 2012, puisque l’avis de renouvellement n’a pas été reçu de la manière et dans les délais prescrits par le bail. Ce même jour, Gourmet Bazar inc. lève l’option de renouvellement pour le premier terme de cinq ans. En réponse, le locateur soulève le fait que le bail contient nécessairement une erreur cléricale, et que la date limite pour lever l’option de renouvellement aurait dû être le 30 novembre 2011, et non 2012.
Analyse
Au procès, les parties admettent par écrit que le bail contient une erreur, et que la date limite pour lever la première option de renouvellement devrait être le 30 novembre 2011.
Malgré cette admission quant à l’erreur, et malgré les exigences du bail que l’avis de renouvellement soit donné par écrit, et livré en main propre ou par courrier recommandé à l’adresse du locateur, la Cour conclut que le locataire avait exercé son option de renouvellement à l’intérieur des délais :

« [34] Selon le Tribunal, il ressort clairement de la preuve écrite et de la preuve orale, d’une part, que Carolina a toujours voulu, à partir de 2007, que Gourmet quitte les lieux loués et, d’autre part, que Gourmet n’a jamais voulu les quitter et qu’elle voulait rester jusqu’en 2032, sauf si une entente intervenait, et qu’elle l’a répété lors de toutes les rencontres de négociation entre 2007 et 2011.
[35] L’intention de Gourmet était claire qu’elle voulait rester.
[36] Elle devait donc faire part à Carolina par écrit de sa volonté de prolonger la durée du bail avant l’échéance prévue au bail.
[37] Or, le bail fut rédigé suivant les instructions de Carolina et il contenait une erreur. Ce n’est pas le 30 novembre 2012 qui devait y apparaître comme date d’échéance, mais bien le 30 novembre 2011.
[38] Cette erreur ne doit pas servir les intérêts de Carolina et, par conséquent, le Tribunal considère, compte tenu des circonstances en l’espèce, que Gourmet a donné valablement son avis écrit qu’elle levait l’option, le 1er octobre 2009, lorsque son avocat a écrit à l’avocat de Carolina « … le bail se terminant en 2012, les quatre (4) options de renouvellement dont notre client veut se prévaloir reporte son terme final à l’an 2032».
[39] Cet avis écrit, quoiqu’imparfait, indiquant la volonté et l’intention de Gourmet, fut envoyé avant le 30 novembre 2011 […] »

Pour la Cour supérieure, faire droit à la demande d’expulsion d’Investissements Carolina inc. reviendrait à faire bénéficier celle-ci de son erreur, au détriment du locataire, et alors même que celui-ci avait à plus d’une reprise clairement manifesté son intention de se prévaloir de chacune des quatre options de renouvellement.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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