Diffamation: Dans la décision, Proulx c. Martineau 2015 QCCA 472, la Cour d’appel tranche en faveur du polémiste Gilles Proulx et renverse la décision de première instance.
Par Myriam Brixi, Borden Ladner Gervais
Par Myriam Brixi
Borden Ladner Gervais
Contexte
En 2010, dans le cadre de négociations en vue de la conclusion d’une nouvelle convention collective, les membres du Syndicat de la fonction publique du Québec (« SFPQ ») ont appris que le gouvernement souhaitait abolir leur banque de congé de maladie accumulée. En réaction à cette information, la présidente du SFPQ, Lucie Martineau, avait proclamé que cette mesure allait inciter des milliers d’employés à quitter leur emploi.
Suite à cette déclaration, Gilles Proulx avait publié un texte dans le Journal de Montréal intitulé « Qui est malade? Le fonctionnaire ou la Fonction publique? », dans lequel il avait notamment qualifié Mme Martineau de «Tartuffe », d’ «apparatchiks » et l’accusait de faire du chantage auprès du premier ministre.
Alléguant une atteinte à sa réputation, Mme Martineau a alors intenté un recours en dommage et intérêts à l’encontre du chroniqueur, précisant qu’elle était victime de déclarations fausses, calomnieuses et diffamatoires.
Jugement de première instance
Bien que M. Proulx ait le droit d’émettre son opinion personnelle sur des sujets d’intérêt public, il ne peut revendiquer la liberté d’expression lorsqu’il envahit l’intégrité d’autrui. Faisant une distinction entre des propos de nature diffamatoire et des propos de nature injurieuse, le juge de première instance conclut que le défendeur avait volontairement et intentionnellement injurié la demanderesse « commettant ainsi autant de fautes qu’il y a d’injures inappropriées et inutiles dans sa chronique » (par. 48). Le magistrat a accordé 25 000 $ à titre de dommage moraux et 20 000 $ en dommages exemplaires afin d’inciter M. Proulx à ne pas récidiver.
Décision en appel
Sous la plume de l’honorable juge Marcotte, la Cour d’appel souligne qu’il n’existe pas de recours particulier en cas d’atteinte à la réputation, ce recours étant soumis à l’application des règles générales de la responsabilité extracontractuelle. En matière de diffamation, la simple démonstration de propos attentatoire n’est pas suffisante pour engager la responsabilité de son auteur. Il faut prouver que ce dernier a commis une faute, résultant soit de sa malveillance ou de sa négligence.
Soupesant d’une part le droit à la liberté d’expression et d’autre part le droit à la réputation, la Cour d’appel estime que le juge de première instance a omis de considérer l’ensemble du texte pour déterminer le sens et l’impact des mots utilisés. La nature d’une chronique est d’exprimer « une opinion », une critique », « une prise de position » et « peut même parfois faire place à l’humour et la satire ». Dans ce contexte, la conduite de l’auteur doit être évaluée en fonction du critère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.
Après une analyse du dossier, la Cour d’appel est d’avis que la conclusion du juge de première instance à l’égard de l’intention malveillante et intentionnelle de M. Proulx n’est pas appuyée par une preuve prépondérante. En l’absence d’une volonté de nuire, la Cour doit évaluer si l’auteur a néanmoins porté atteinte à la réputation de la plaignante par « sa témérité, sa négligence », « son impertinence » ou « son incurie ». Or, lorsque le juge de première instance aborde la faute, il réfère au critère du citoyen ordinaire plutôt qu’au critère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que le chroniqueur.
« [38] À mon avis, et ceci dit avec égards pour le juge d’instance, le texte de Gilles Proulx, lu dans son ensemble, présente un point de vue sur un sujet d’intérêt public qui peut se défendre. Son opinion ne peut être qualifiée de déraisonnable dans le contexte de l’article, alors que le ton utilisé ne va pas au-delà de ce qui est acceptable : les mots « Tartuffe », « apparatchiks » et « chantage » constituent une forme de caricature verbale qui ne dépasse pas les bornes de la critique permise à l’égard des personnalités publiques dans le cadre d’une société démocratique . Conclure autrement m’apparaît susceptible de museler à excès les commentateurs publics et de sonner le glas de la critique dans notre société, pour paraphraser les propos de notre Cour dans l’affaire Société Saint-Jean-Baptiste c. Hervieux-Payette. » [Références omises]
Concernant l’appréciation du préjudice, la Cour d’appel précise :
« [44] Dans une action en diffamation, les dommages ont pour objectif de compenser l’atteinte à la réputation et de réparer l’humiliation, le mépris, la haine ou le ridicule dont la victime a fait l’objet . Le préjudice résultant de la diffamation, l’atteinte à la réputation, est donc intrinsèque au recours . Afin d’évaluer ce préjudice, le juge doit déterminer si, à la suite des propos diffamatoires, un citoyen ordinaire porte moins d’estime pour la victime . […]
[…]
[49] Or, bien qu’il soit admis que l’injure comme la diffamation peut porter atteinte à l’honneur de la personne visée, la jurisprudence distingue désormais ces deux notions au moment d’évaluer le préjudice, afin de déterminer s’il y a lieu d’octroyer des dommages. Les tribunaux reconnaissent que seule la diffamation engage la responsabilité de son auteur, puisque le critère objectif applicable requiert que les propos litigieux, pris dans leur ensemble et interprétés dans leur contexte, déconsidèrent la réputation de la personne visée du point de vue du citoyen ordinaire. La simple injure ne suffit donc pas à soutenir un recours en diffamation, dont le but n’est pas de réparer l’incidence des propos litigieux sur la dignité du sujet mais plutôt de l’indemniser pour la déconsidération de sa réputation qui en résulte. » [Références omises]
Conclusion
Certes, la plaignante a pu être blessée par les propos tenus à son égard, mais il n’a pas été démontré que les injures avaient déconsidéré la réputation de la victime aux yeux du citoyen ordinaire. Ainsi, concluant à l’absence de conduite fautive de M. Proulx et considérant que les propos litigieux n’étaient pas diffamatoires, la Cour d’appel infirme le jugement de première instance et refuse d’octroyer des dommages et intérêts.
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