FACEBOOK : mise en preuve d’une conversation dans un dossier de garde partagée
Par Rachel Rioux-Risi
Rachel Rioux-Risi
Avocate
Dans la décision Droit de la famille – 161206, la Cour supérieure doit décider de la garde de deux enfants d’un couple qui ne s’entendent pas. À l’occasion du procès, Monsieur met en preuve une conversation issue de la page Facebook de Madame. Est-ce que cette preuve peut être acceptée par la cour?
Faits
Monsieur et Madame se rencontrent alors qu’ils sont encore adolescents. À 19 ans, en 2005, elle donne naissance à leur premier enfant. En 2008, Monsieur signe une requête pour la garde partagée. À l’occasion de cette requête, il invoque qu’il a cessé de faire vie commune avec Madame en 2007. Cette requête est homologuée. Il semblerait que cette requête ait été faite dans le but d’obtenir des prestations d’aide sociale. En 2008, le couple achète une maison et le second enfant nait. En 2014, le couple se sépare réellement et Madame quitte la maison avec les deux enfants. En 2015, elle emménage avec son nouveau conjoint et requiert désormais une garde complète. Monsieur, quant à lui, demande une garde partagée.
Pour soutenir sa demande de garde complète, Madame invoque que Monsieur a des problèmes de consommation d’alcool et de drogues. Elle ajoute qu’il ne supporte pas financièrement les enfants et est absent de leur vie. Il est jaloux et possessif et crée un climat malsain pour les enfants. Quant à la requête factice, signée en 2008, Madame indique qu’elle a été forcée de signer et qu’elle est désormais tenue solidairement à un remboursement de 30 000 $ au gouvernement.
Monsieur, pour soutenir sa demande de garde partagée, soutient qu’il est inquiet quant aux habitudes de consommation de son ex-conjointe. Il souligne au passage qu’elle l’empêche de s’impliquer dans la vie de ses deux enfants et que son nouveau conjoint n’est pas un bon modèle en raison de sa consommation de drogue. Relativement à la requête, il soumet que le couple envisageait la séparation.
Pour soutenir ses prétentions, Monsieur met en preuve des conversations privées que Madame a eues avec des tiers, par l’entremise de son compte Facebook. Madame s’objecte à cela, car cela viole son droit à la vie privée. Au surplus, elle remet en doute la fiabilité de cette preuve.
Questions
Considérant l’objection de Madame et ses motifs, est-ce que les conversations privées de Madame sur Facebook peuvent être mises en preuve ?
Analyse
La Cour débute l’analyse par un bref rappelle des principes qui sous-tendent l’objection de Madame.
Celle-ci repose sur l’article 2858 du Code civil du Québec (ci-après, « CcQ ») qui prévoit que « le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Il s’agit d’un examen en deux étapes. La première consiste d’évaluer la manière dont a été obtenue la preuve et la seconde est l’analyse de l’effet de l’utilisation de cette preuve sur l’administration de la justice.
Relativement à la première étape, lors de son témoignage, Monsieur explique avoir eu accès aux conversations privées de Madame, en septembre 2015, car, elle a conservé sa session Facebook ouverte sur un ordinateur. Voyant qu’une conversation portait possiblement sur la consommation de drogues, il a pris en photo ce qu’il voyait à l’écran avec son cellulaire. Il a copié cela sur son propre ordinateur et a préparé un document en conservant les passages qui l’intéressaient le plus. Il a imprimé le document ainsi conçu et veut désormais l’introduire en preuve. Lors de son témoignage, il soumet qu’il ne pouvait l’imprimer dans son entièreté, car il a manqué de papier.
Fait à noter : l’ensemble du témoignage de Monsieur est corroboré par sa nouvelle conjointe, outre le passage relatif au manque de papier. La nouvelle conjointe explique que tout ce qui a été pris en photo par Monsieur a été imprimé. La Cour souligne que cette contradiction est importante et laisse croire que Monsieur et sa nouvelle conjointe se soient entendus sur la version des faits à offrir.
Madame, lors de son témoignage, indique qu’elle a réinitialisé son profil Facebook au moment de la séparation, en 2014 et qu’elle n’aurait pas laissé sa session ouverte en permanence sur l’ordinateur.
La Cour est d’avis que Monsieur a découvert le nouveau mot de passe de Madame (il a été modifié à l’occasion de la séparation) par l’entremise des réponses à ses questions de sécurité et qu’il a alors porté atteinte aux droits fondamentaux de Madame.
Qu’en est-il du second volet de l’article 2858 CcQ ? Est-ce que l’utilisation du document soumis par Monsieur reproduisant des conversations privées de Madame est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ?
La Cour reproduit un extrait, que nous reproduisons également :
L’arrêt clé à cet égard est celui de la Cour d’appel dans Mascouche (Ville) c. Houle. Le juge Gendreau y résume ainsi l’exercice auquel le Tribunal doit se livrer :
Le juge du procès civil est convié à un exercice de proportionnalité entre deux valeurs: le respect des droits fondamentaux d’une part et la recherche de la vérité d’autre part. Il lui faudra donc répondre à la question suivante: La gravité de la violation aux droits fondamentaux, tant en raison de sa nature, de son objet, de la motivation et de l’intérêt juridique de l’auteur de la contravention que des modalités de sa réalisation, est-elle telle qu’il serait inacceptable qu’une cour de justice autorise la partie qui l’a obtenue de s’en servir pour faire valoir ses intérêts privés? Exercice difficile s’il en est, qui doit prendre appui sur les faits du dossier. Chaque cas doit donc être envisagé individuellement. Mais, en dernière analyse, si le juge se convainc que la preuve obtenue en contravention aux droits fondamentaux constitue un abus du système de justice parce que sans justification juridique véritable et suffisante, il devrait rejeter la preuve.
[Nous soulignons]
Comme le souligne la Cour, il est question d’évaluer la gravité de la violation et ce, en fonction de la nature de celle-ci, de son objet, de la motivation et de l’intérêt juridique de l’auteur de la violation. En matière familiale, il est entendu que les tribunaux favorisent l’admissibilité d’une preuve si celle-ci s’inscrit dans le meilleur intérêt des enfants. Dans le cas en espèce, Monsieur tente de démontrer que Madame consommation de la drogue et que son nouveau conjoint lui en procure. Il veut attaquer la capacité de Madame à prendre soin des enfants. Il ne fait aucun doute que cela s’inscrit dans la recherche du meilleur intérêt des enfants.
La Cour ajoute :
[56] Par ailleurs, la preuve entourant les modalités de la réalisation de la violation n’est pas concluante. Le Tribunal ignore l’ampleur des moyens mis en place par le père pour découvrir le mot de passe de la mère et accéder ainsi à son compte Facebook ni pendant combien de temps il l’a épiée.
[57] Finalement, il faut prendre en compte le fait que le père a le droit de questionner la mère sur sa consommation de drogue. À la question de savoir : « est-ce que S… vous procure du pot à l’occasion », elle devrait répondre la vérité. De plus, ses conversations à ce sujet sur Facebook existent ou existaient indépendamment de la violation de son droit au respect de sa vie privée.
[58] Ainsi, il ne s’agit pas d’un cas où l’élément de preuve n’existait pas et a été entièrement acquis en violation d’un droit fondamental. La situation s’apparente plutôt à celle envisagée par le juge Forget (alors à la Cour supérieure) dans Banque Nationale du Canada c. Michaël[6], où le fait « d’obtenir plus tôt et plus facilement une preuve qu’on est en droit d’établir au procès » ne déconsidère pas l’administration de la justice.
Malgré cela, il en demeure que la fiabilité de la preuve n’est pas excellente et la Cour rejette l’admission de la preuve sur ce point. La Cour doit accepter une telle preuve si la reproduction est fiable et intégrale.
Des messages échangés sur Facebook constituent des documents technologiques au sens la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information L.R.Q., c. C-1.1. Rappelons qu’il est nécessaire que l’intégrité de ces messages soit assurée, lorsqu’ils sont transposés sur support papier. Pour faire, l’information ne doit avoir subie aucune altération ou destruction volontaire ou accidentelle. Dans le cas en l’espèce, Monsieur, lors de son témoignage, a admis qu’il avait supprimé certains passages et sélectionné certains extraits. La notion d’intégrité, telle que décrite ci-haut, n’est pas respectée. Par ailleurs, outre sa mémoire, Madame n’a aucun moyen de s’assurer que le contenu des messages est demeuré tel quel et n’a pas été modifié par Monsieur.
À cet effet, la Cour souligne :
[71] Elle peut certes nier le contenu des messages, ou encore dire qu’elle ne s’en rappelle pas, mais il y a quelque chose d’inéquitable dans le fait de confronter un témoin à une preuve qui, à la base, ne présente pas de garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier.
[72] Un tel procédé est contraire à l’objectif de recherche de la vérité en ce qu’il peut inciter un témoin à admettre un fait dont il n’a aucun souvenir ou le juge à tirer une inférence négative au niveau de la crédibilité si le témoin n’admet pas ce que la preuve (non fiable) tend à démontrer.
Les conversations Facebook sont rejetées par la Cour.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
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