Le processus d’autorisation de l’action collective : réflexions de la Cour d’appel
Par Jasmine Jolin
Par
Jasmine Jolin
Paquette Gadler inc.
À
l’occasion de l’appel d’un jugement en autorisation ayant refusé l’exercice
d’une action collective, la Cour d’appel se permet quelques commentaires et
réflexions sur l’étape d’autorisation des actions collectives au Québec.
Contexte et décision de l’affaire
Dans Charles c. Boiron Canada inc., 2016 QCCA 1716 (ci-après l’ « Affaire Boiron »), l’appelante se
pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure lui ayant refusé de
l’exercice d’une action collective en matière pharmaceutique.
En
vertu de cette dernière, l’appelante allègue principalement qu’un produit
homéopathique vendu par l’intimée représenté comme ayant la capacité de
soulager les effets de la grippe ne serait, somme toute, qu’un placebo.
Comme
motifs d’appel, l’appelante soulève, d’une part, que le juge de première
instance n’a pas tenu la preuve pour avérée au stade de l’autorisation, se
livrant plutôt à un examen au fond des éléments de preuve des parties (art.
1003b) ancien C.p.c., maintenant art. 575(2) C.p.c.).
D’autre
part, l’appelante soutient que le juge de première instance a commis une erreur
en ne reconnaissant pas la qualité de l’appelante à titre de représentante
(art. 1003d) ancien C.p.c., maintenant art. 575(4) C.p.c.).
Ce
sont sur ces points que l’Honorable Jacques Lévesque, j.c.a., se penchent dans
l’arrêt.
1. Tenir la preuve
pour avérée (art. 1003b) ancien C.p.c., maintenant art. 575(2) C.p.c.)
L’Honorable
Juge Lévesque résume de la manière suivante les prétentions de
l’appelante à ce sujet :
« [38]
L’appelante
soutient que son témoignage conjugué avec les pièces produites, notamment le
rapport du Dr Lynn Willis, tenues pour avérées établissent prima facie le syllogisme juridique qu’elle
soutient. Le juge aurait, à ses yeux, revêtu la toge d’un juge du
fond pour évaluer la preuve selon la balance des probabilités, en opposant,
entre autres, l’opinion du Dr Willis à la décision de Santé
Canada de reconnaitre le produit. Selon l’appelante, en tenant pour avérés les
faits allégués, le juge n’avait d’autre choix que d’accueillir la demande
d’autorisation. »
[Nos
soulignements]
Rappelant
les enseignements de nombreux arrêts tels qu’Infinéon (Infinéon Technologies AG c. Option consommateurs, [2013] 3 R.C.S.
600) et, plus récemment, Sibiga (Sibiga c. Fido Solutions inc., 2016
QCCA 1299), la Cour indique que l’étape de
l’autorisation d’une action collective est un processus de filtrage et non pas
un procès au fond, dans le cadre duquel le juge ne doit vérifier que s’il
existe une apparence sérieuse de droit, auquel cas l’exercice de l’action doit
être autorisé.
En
l’espèce, la Cour d’appel indique, avec égard, que le juge de première instance
n’a pas respecté ce mécanisme de filtrage, s’adonnant plutôt à une étude au
fond de l’affaire.
Tel
qu’elle l’indique avec justesse, « […] l’effet de l’approbation par Santé
Canada de la qualité du produit homéopathique et [..] la valeur de l’opinion du
Dr. Willis sont des questions qui relèvent du juge chargé d’entendre
l’affaire à son mérite, à l’occasion d’un débat contradictoire où seront
présentés tous les éléments de preuve de chaque partie. » (Affaire Boiron,
par. 50) [Nos soulignements].
2. Qualité de
l’appelante à titre de représentante (art. 1003d) ancien C.p.c., maintenant art. 575(4) C.p.c.)
La
Cour d’appel, toujours sous la plume de l’Honorable Juge Lévesque, indique que
le juge de première instance a commis une erreur en refusant d’octroyer le
statut de représentante à l’appelante en raison de motifs non pertinents.
Avoir
jeté les emballages des produits achetés personnellement, ne pas avoir
communiqué avec les membres du groupe et avoir omis de faire des recherches ne
sont pas des conditions obligatoires pour le représentant, affirme-t-elle.
C’est
plutôt, encore une fois, une approche libérale qu’il faut adopter afin de
déterminer si le requérant peut assurer une représentation adéquate des
membres.
En
l’espèce, il ressort du témoignage de l’appelante qu’elle comprend les
allégations de la demande et qu’elle s’implique dans le processus judiciaire
(Affaire Boiron, par. 53 et 60).
Réflexions sur le processus d’autorisation des actions
collectives
Souscrivant aux motifs de l’Honorable Juge Lévesque,
l’Honorable Marie-France Bich, j.c.a. y va cependant de commentaires plus
généraux sur l’étape de l’autorisation en matière d’actions collectives,
soulevant certaines difficultés pratiques s’y afférant et lançant, selon toute
vraisemblance, un appel au législateur afin d’attirer son attention sur
ces dernières.
Nous vous invitons à lire l’entièreté des motifs de
l’Honorable Juge Bich pour un portrait complet de ses remarques.
En voici cependant quelques passages-clé :
[71] L’action collective (désormais régie
par les art. 574 et s. du nouveau Code de procédure civile) n’est plus
une institution procédurale nouvelle, elle a conquis ses galons, elle est
connue et bien intégrée au processus judiciaire : a-t-on toujours besoin
que la porte d’entrée soit verrouillée et doive être déverrouillée au cas par
cas, de cette manière? Et, parlant de porte, le « seuil peu élevé »
que décrit la Cour suprême, notamment dans l’arrêt Infineon, justifie-t-il que l’on consacre
autant d’efforts et de ressources à cette pré-instance? S’il ne s’agit que
d’écarter les actions manifestement mal fondées ou frivoles à leur lecture
même, ne serait-il pas opportun de laisser la fonction au domaine ordinaire de
l’irrecevabilité ou à celui de l’abus au sens des articles 51 et s. n.C.p.c. (précédemment art. 54 et s. C.p.c.).
[72] En pratique, par ailleurs, le
processus d’autorisation préalable de l’action collective, dans son cadre
actuel, consomme des ressources judiciaires importantes, dont la rareté s’accommode
mal de ce qui paraît un déploiement d’efforts sans proportion avec le résultat
atteint, qui s’obtient au prix d’un engorgement difficilement supportable.
C’est également, un processus coûteux pour les parties, lent (parfois même
interminable), donnant lieu à des débats qui, dans la plupart des cas, seront
de toute façon repris sur le fond si l’action est autorisée et généreront
encore diverses disputes interlocutoires. Et ceci sans parler du droit d’appel
qui coiffe le tout, multipliant les occasions de faire durer les préliminaires,
un droit d’appel que le législateur, pour d’insaisissables raisons, a récemment
choisi d’élargir.
[73] L’action collective se veut un moyen
de faciliter l’accès à la justice alors que, trop souvent, paradoxalement, le
processus d’autorisation préalable, dans sa forme actuelle, entrave cet accès.
Et lorsqu’il n’est pas une entrave, il est une formalité dont les coûts
exorbitants ébranlent la raison d’être ou encore une sorte de mondanité
procédurale ne permettant pas un filtrage efficace. Dans tous les cas, il
engendre une insatisfaction généralisée, pour ne pas dire – et j’ose le mot –
une frustration, qui résonne dans tout le système judiciaire. Certains
profitent peut-être de l’affaire (on ne compte plus les dénonciations de
l’« industrie » de l’action collective, nouvel avatar de l’« ambulance
chasing »), mais cela ne saurait justifier le statu quo.
[74] L’on rétorquera que si les choses ont
tourné ainsi, c’est que les dispositions législatives, qui reposent sur des
fondements théoriquement solides, sont mal comprises ou mal appliquées. Cela
est possible, je le concède, mais l’affirmation ne résout rien. Je serais de
mon côté portée à dire que si la pratique, après 38 ans, n’arrive pas à donner
vie à la théorie, c’est que la théorie est défaillante ou dépassée ou que le
modèle qui prétend l’incarner a besoin d’être non pas simplement rafistolé ou
retouché, mais carrément rénové. J’évoque plus haut la possibilité que le
processus d’autorisation soit supprimé ou, mieux peut-être, intégré à
l’instance elle-même, mais d’autres, avec lesquels on pourrait tout aussi bien
être d’accord, suggèrent plutôt de le renforcer, pour lui donner le mordant
qu’on lui a jusqu’ici refusé. Quoi qu’il en soit, il serait temps que le
législateur se penche sur la question et l’on s’étonne d’ailleurs que la chose
n’ait pas été au programme de la dernière réforme du Code de procédure civile. »
[Références
omises]
Libre à chacun de se faire sa propre tête suite à ces
commentaires. Or, une chose est certaine : il n’est pas dans l’intérêt de
la justice que des situations telles que l’Affaire Boiron se produisent.
Le
texte de la décision intégrale se trouve ici.
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