Sélection SOQUIJ – R. c. Shenker, 2021 QCCQ 2375
Par SOQUIJ, Intelligence juridique
PÉNAL (DROIT) : En tenant compte à la fois de la préservation des droits constitutionnels fondamentaux de l’accusé et de la sécurité du public en salle d’audience, la Cour prévoit que les témoins, qui n’ont exprimé aucune réserve à cet égard, retireront leur couvre-visage afin de témoigner.
2021EXP-1177
Intitulé : R. c. Shenker, 2021 QCCQ 2375
Juridiction : Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale (C.Q.), Montréal
Décision de : Juge Dennis Galiatsatos
Date : 8 avril 2021
Références : SOQUIJ AZ-51757118, 2021EXP-1177 (12 pages)
Résumé
PÉNAL (DROIT) — procédure pénale — procédure fédérale — déroulement de l’audience — témoignage — port du couvre-visage — pandémie — coronavirus — COVID-19 — état d’urgence sanitaire — recommandation de l’Institut national de santé publique du Québec — port du couvre-visage en tout temps en milieu de travail — procès — harcèlement criminel — contre-interrogatoire de la plaignante — possibilité de retirer le couvre-visage — appréciation de la preuve — crédibilité des témoins.
Jugement sur le déroulement de l’audience.
L’accusé est visé sous un chef de harcèlement criminel. Le 9 mars 2021, peu avant le procès, l’Institut national de la santé publique du Québec a officiellement recommandé le port du couvre-visage en tout temps par toutes les personnes en milieu de travail dans le but de ralentir la propagation de la COVID-19 et de ses variants. Pour sa part, la Cour du Québec a émis une directive prévoyant que le port du couvre-visage était obligatoire en tout temps par toute personne présente dans une salle d’audience, sauf autorisation contraire du tribunal. Puisque l’instance en cours est contestée, l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des témoins se trouvera au coeur du débat. Par conséquent, la Cour a invité les parties à présenter leurs positions quant au port du couvre-visage pendant le procès, et ce, dans le but de trouver un équilibre entre la préservation des droits constitutionnels fondamentaux de l’accusé et la sécurité du public en salle d’audience.
L’accusé, qui se représente seul, et le procureur qui procédera au contre-interrogatoire de la plaignante, ont exprimé une préférence pour que le témoignage de cette dernière se fasse à visage découvert. Ils font valoir que la possibilité de voir le visage d’un témoin constitue une partie intégrale du contre-interrogatoire, le procureur ajoutant que le langage corporel d’un témoin est important, tout comme les mots qu’il prononce. Pour sa part, le procureur de la Couronne est aussi d’avis qu’un témoignage fait sans couvre-visage est préférable pour permettre à la Cour de bien évaluer sa valeur probante. Tous sont à l’aise avec l’idée de témoignages sans couvre-visage, y compris les témoins qui doivent être entendus.
Décision
Dans R. c. N.S. (C.S. Can., 2012-12-20), 2012 CSC 72, SOQUIJ AZ-50923244, 2013EXP-15, J.E. 2013-8, [2012] 3 R.C.S. 726, quoique dans un contexte différent, la Cour suprême du Canada a souligné l’importance de voir le visage d’un témoin, indiquant qu’il existait un lien étroit entre la capacité de voir le visage d’un témoin et un procès équitable. La possibilité d’observer le langage non verbal d’un témoin peut fournir des pistes utiles au procureur qui le contre-interroge et elle peut guider le juge qui est appelé à évaluer la crédibilité et la fiabilité du témoin. La pandémie de la COVID-19 n’a rien changé à ces principes.
De plus, il est question en l’espèce d’un dossier où les allégations sont contestées et d’un procès sur le fond où l’accusé fait face à une accusation grave et à des conséquences très sérieuses s’il est déclaré coupable. Afin de préserver le droit fondamental de la défense de contre-interroger efficacement la plaignante, le procureur qui effectuera cette démarche devra voir son visage pour apprécier non seulement ses mots, mais aussi ses expressions faciales. Il faut d’ailleurs rappeler qu’un procureur a été nommé précisément aux fins du contre-interrogatoire. En ce sens, le droit de l’accusé de gérer sa défense a déjà été quelque peu restreint. Il serait inapproprié d’aggraver la situation en créant des obstacles à un contre-interrogatoire complet.
En ce qui concerne la Cour, il est difficile d’imaginer une évaluation exhaustive des témoignages de la plaignante et de l’accusé si seuls leurs yeux sont visibles.
Il faut aussi tenir compte de l’intérêt de la plaignante, qui témoignera en tant que victime alléguée de harcèlement criminel. Dans les circonstances, le système de justice devrait s’efforcer de rendre son témoignage aussi confortable que possible, non seulement par respect pour le témoin, mais aussi afin de créer les conditions les plus propices à l’obtention d’un compte rendu complet et franc des événements. Imposer à la plaignante l’obligation de témoigner au sujet d’événements potentiellement traumatiques en portant un couvre-visage qui pourrait gêner sa respiration et étoufferait ses paroles ne serait pas dans l’intérêt de la justice.
En ce qui a trait à la sécurité des personnes dans la salle d’audience, les juges en sont certes responsables jusqu’à un certain point. Or, des mesures sont déjà en place et il faut notamment tenir compte du fait que presque toutes les personnes sur place porteront un couvre-visage en tout temps, sauf les témoins, qui le retireront temporairement alors qu’ils seront dans un espace isolé.
Enfin, il y a lieu d’écarter la proposition faite dans R. v. Bdeir 2021 ONCJ 54, selon laquelle les règles portant sur la preuve devraient évoluer en fonction des valeurs sociales ou des priorités liées à la pandémie. Certaines règles de preuve et de procédure peuvent faire l’objet d’ajustements, d’autres non. Le système de justice doit s’efforcer d’assurer la sécurité de tous, mais la pandémie ne peut servir de fondement pour diluer des composantes fondamentales de la présomption d’innocence et du droit à une défense pleine et entière. Ce sont les pierres angulaires de tout notre système.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
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