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Gabrielle Champigny
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03 Mai 2021

Développement et préservation des milieux naturels : une utopie? L’Éco-campus Hubert-Reeves résiste à la poursuite judiciaire de la Coalition verte

Par Gabrielle Champigny, avocate

Peut-on concilier développement et protection de l’environnement? C’est à cette question fondamentale que la Cour supérieure s’est dite amenée à répondre dans son jugement rendu le 1er mars dernier dans l’affaire Coalition verte c. Technoparc Montréal[1]. Il s’agit de l’aboutissement d’une longue bataille juridique menée par la Coalition verte pour la protection de milieux naturels riches en biodiversité sur le site du Technoparc, ce grand parc d’entreprises spécialisées vouées à la recherche industrielle.

Contexte

Le terrain de l’Éco-campus Hubert Reeves abrite plusieurs milieux humides de grand intérêt écologique, ainsi qu’une panoplie d’espèce d’oiseaux migrateurs, dont le petit blongios. Au cœur du litige se trouve l’assèchement de milieux humides (le « Petit marais Hubert-Reeves »), l’aménagement d’une digue, l’abattage d’arbres, ainsi que la construction d’une route, de six bâtiments et d’un stationnement. En décembre 2019, le terrain et les autorisations environnementales qui lui étaient associées ont été cédés à la Ville de Montréal, qui en est maintenant propriétaire.

La Coalition verte contestait les autorisations environnementales délivrées à Technoparc Montréal entre 2013 et 2016[2] pour la réalisation de ce projet et demandait à la Cour supérieure d’interdire les travaux supplémentaires prévus sur le site et d’ordonner la remise en état des lieux.

La particularité de ce dossier réside dans les modifications du projet au fil du temps, notamment en réponse aux conditions imposées par le ministère, afin d’assurer la conservation in situ de milieux naturels d’intérêt, sur au moins 46 % de la superficie du terrain, ainsi que le maintien de zones tampons et d’une connectivité hydrique. Ce site fait aussi l’objet d’un zonage « de conservation » pour respecter les engagements de la Ville de Montréal à l’égard de la partie du terrain protégée[3]. Le projet controversé de l’Éco-campus concentre ses aménagements dans la partie du terrain plus pauvre en biodiversité, tout en favorisant la conservation des milieux humides de plus grand intérêt écologique. Cette stratégie est-elle suffisante pour respecter les exigences de la réglementation environnementale? Quel est le rôle de la Cour supérieure dans la conciliation des intérêts de développement et de protection de l’environnement? Malgré la spécificité de ce dossier, cette récente décision de la Cour supérieure jette une lumière actualisée sur ces questions!

Décision

La validité des certificats d’autorisation

C’est la présence des milieux humides qui, dans ce cas-ci, a déclenché l’obligation du promoteur de recueillir des autorisations environnementales[4].

Les certificats d’autorisation en question ont été délivrés à Technoparc avant l’adoption, en 2017, de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques qui a modifié la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Le Tribunal a donc examiné leur validité selon les anciennes dispositions de la LQE, en particulier l’article 24 (maintenant l’article 31.0.2), qui prévoit en termes généraux l’encadrement de la discrétion du ministre dans l’octroi de tels permis[5].

La Cour prend soin de rappeler que le pouvoir du ministre de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques est discrétionnaire et doit être interprété largement. Le contrôle de cette discrétion doit donc obéir à la norme de la décision raisonnable. La Cour note que l’arrêt Vavilov n’a rien changé à cet égard[6]. Elle résume ainsi le « fardeau exigeant » que la Coalition verte devait satisfaire pour renverser la décision du ministre et annuler les autorisations :

[55] Par conséquent, pour annuler les certificats, Coalition verte doit établir la présence d’un des motifs de contrôle suivants :

– Le ministre a agi sans compétence ou autrement excédé sa compétence;

– Le ministre ne s’est pas conformé à la procédure prescrite, aux règles de la justice naturelle ou au principe de l’équité procédurale;

– Le ministre a poursuivi une finalité impropre, a agi de mauvaise foi ou par malice ou de façon discriminatoire;

– Le ministre a agi de façon injuste notamment en omettant d’examiner les faits ou de façon déraisonnable ou absurde.

Sur la base de la preuve présentée, la Cour supérieure conclut qu’aucun de ces motifs n’a été démontré et que les autorisations ont été validement délivrées. Dans la mesure où les conditions qui y étaient prévues sont respectées, la Cour se rallie à l’avis faunique produit par le ministère selon lequel le projet n’a pas non plus d’impact significatif sur la faune et ses habitats[7].

Un point important soulevé concerne le respect de la Directivedu ministère relative aux milieux humides, qui prévoit notamment que « les projets qui affectent des milieux humides devraient considérer ce capital naturel et permettre d’en maintenir les processus naturels, voire d’améliorer ceux de milieux qui sont déjà affectés par des perturbations »[8]. La Directive suggère en outre l’approche éviter – minimiser – compenser[9], qui a été intégrée au texte même de la LQE lors de la réforme de 2017[10]. La Coalition verte reprochait au ministre de ne pas avoir suivi la séquence, puisque le projet n’avait pas « évité » le Petit marais Hubert-Reeves. Vu la preuve que chacune des trois étapes avait été examinée et en regard de l’absence de force obligatoire de la Directive, la Cour a rejeté ce motif :

[114] De plus, la Cour d’appel a jugé que le volet « Éviter » de la Directive ne pouvait revenir « à exiger du promoteur qu’il renonce à son projet. »

[115] Au nom de la majorité, le juge Jean Bouchard écrit :

[82] Je vois, pour ma part, dans cette séquence d’atténuation, un processus hiérarchique où l’analyste demande tout d’abord au promoteur si le projet ne peut pas se faire ailleurs que dans un milieu humide de manière à prévenir les impacts sur ce milieu et protéger l’environnement. La séquence d’atténuation se poursuit ensuite avec le volet « Minimiser » s’il est impossible de trouver un site alternatif au projet. Dans ce cas, le Ministre demandera alors au promoteur d’éviter certaines zones plus sensibles, de maintenir des corridors biologiques et les liens hydrologiques entre les écosystèmes résidentiels, etc., bref, de minimiser les impacts négatifs sur le milieu humide affecté par le projet.

[83] À mon avis, non seulement la directive est conforme au pouvoir discrétionnaire accordé au Ministre en vertu du deuxième alinéa de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement, mais elle est inhérente à sa discrétion dans le sens où les volets « Éviter » et « Minimiser » peuvent être pris en compte par ce dernier, dans un cas donné, même en l’absence de la directive. N’est donc pas illégal le fait pour le Ministre 1°) d’exiger d’un promoteur qu’il justifie l’impossibilité de réaliser son projet ailleurs que dans un milieu humide et 2°) qu’il en minimise les impacts sur le plan environnemental si son projet doit néanmoins se faire dans un pareil endroit.

[116]  Ces propos sont tout à fait applicables au présent dossier .

[117] Le Tribunal juge que le MELCC a fait une application de la Directive conforme ses obligations et a exercé sa discrétion en conformité avec les exigences de la LQE, de bonne foi, en respectant les objectifs de celle-ci.

Par ailleurs, la Coalition verte avançait que le ministre n’avait pas suffisamment justifié sa décision. La LQE contient depuis 2017 des dispositions qui ont renforcé la transparence et rendu plus explicite l’accès à l’information en lien avec le processus d’autorisation environnementale[11]. Or, la Cour mentionne que ces changements ne suffisent pas pour conclure que le processus suivi par le ministre était « opaque et inapproprié », de sorte que les autorisations demeurent « transparentes »[12]. Bien qu’il s’agisse de documents distincts, les motifs à l’appui de l’émission des autorisations environnementales se retrouvent dans les rapports d’analyses qui les supportent[13].

La Cour termine son examen de la validité des autorisations en soulignant que l’examen de la légalité d’une telle décision discrétionnaire, sous la lentille de la norme de raisonnabilité, ne peut s’étendre à son opportunité[14]. Ainsi, aucune raison ne justifiait l’intervention de la Cour supérieure pour renverser les autorisations délivrées dans le cadre du projet de l’Éco-campus, lequel comporterait au contraire des vertus environnementales aux yeux du tribunal :

[129] Coalition verte n’a établi aucun des motifs d’illégalité qui auraient permis à la Cour supérieure de renverser l’exercice de la discrétion du ministre.

[130] Au contraire, le Tribunal ne peut que constater qu’un projet qui protège et pérennise des milieux humides, éloigne les constructions des rives d’un marais, revitalise un ruisseau délabré en recréant son parcours d’origine, crée des liens écologiques, inclut dans la protection des zones à l’extérieur du périmètre initial, voit à ce que la municipalité adopte un zonage de conservation et intègre les terrains voisins à cette vision d’ensemble, répond aux objectifs de la Loi sur le développement durable et de la LQE.

[131] On peut même affirmer qu’avant les modifications apportées à la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et favorisant une meilleure gouvernance de l’eau et des milieux associés en 2017, le ministre avait eu comme éléments d’analyse ceux que l’on retrouve maintenant aux articles 15.8 et suivants de cette loi.

La protection de l’habitat du petit blongios

Le deuxième ensemble de motifs invoqués concernait l’habitat du petit blongios, une espèce d’oiseau qui niche généralement dans des marais et marécages d’eau douce.  Au Québec, cette espèce est désignée « vulnérable » en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables (LEMV)[15]. Au Canada, elle est désignée espèce « menacée » en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP)[16]. Sa présence sur le site de l’Éco-campus date au moins de 2016 et persiste même après les travaux de déboisement et d’endiguement effectués[17].

Le hic : la LEMV ne s’applique que sur le domaine de l’État. Les terrains qui appartiennent à une municipalité, ici la Ville de Montréal, n’en font pas partie[18]. Le ministre ne peut donc pas désigner un habitat faunique sur les terres municipales concernées[19].

De plus, les lots visés par le projet d’Éco-campus n’avaient pas fait l’objet d’un décret en vertu la Loi sur les espèces en péril[20]. Ce faisant, la Cour ne pouvait considérer l’existence d’un « habitat essentiel » du petit bonglios, ni d’aucune autre espèce, dans la zone examinée[21]. La Cour a rappelé qu’elle ne peut « agir sans assise législative et exécutive pour décider […] quelles espèces méritent, selon certains citoyens, une protection spéciale »[22].

Ainsi, la Cour supérieure a rejeté le recours de la Coalition verte, donnant le feu vert au projet d’Éco-campus maintenant chapeauté par la Ville de Montréal. 

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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