par
Mélanie Arrata
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et
Mylène Lafrenière Abel
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22 Déc 2021

Les décisions arbitrales en matière de preuve et de procédure : un rappel que la déférence est de mise!

Par Mélanie Arrata, étudiante à l'Université de Montréal et Mylène Lafrenière Abel, avocate

Dans l’arrêt Université du Québec à Montréal c. Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal – SPUQ (2021 QCCA 1565), la Cour d’appel rétablit la décision de l’arbitre Me Nathalie Massicote qui avait conclu que le non-renouvellement d’un contrat de travail d’un professeur de danse était valide. Dans cet arrêt, la Cour s’attarde particulièrement à l’importance d’appliquer convenablement la norme de la décision raisonnable lors d’un contrôle judiciaire, tout en rappelant la compétence exclusive de l’arbitre de grief par rapport à la preuve et la procédure lors de l’arbitrage.

Contexte

M. Armando Menicacci, professeur régulier non permanent de danse au sein de l’UQAM, se fait refuser le renouvellement de son deuxième contrat de travail à la suite de deux évaluation négatives du comité d’évaluation et du comité de révision chargés d’examiner son dossier.

Lorsque le dossier est porté devant le Tribunal d’arbitrage par le Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal (ci-après appelé « le Syndicat »), l’arbitre analyse les dispositions de la convention collective et conclut qu’un arbitre ne doit intervenir « que s’il constate que la procédure d’évaluation, comme prévue à la convention collective, a souffert d’un vice de fond préjudiciable au professeur ou si elle n’a pas été exercée suivant les exigences de la bonne foi »[1]

Dans l’objectif de démontrer que les évaluations étaient empreintes de mauvaise foi, le Syndicat a voulu introduire en preuve le dossier de quatre autres professeurs qui ont été évalués la même journée que le plaignant. Or, l’arbitre accueille l’objection à la preuve formulée par l’employeur : évaluer le fond de ces quatre évaluations mènerait à devoir réévaluer le dossier de M. Meniccacci, ce qu’il ne peut faire en l’espèce. Pour l’arbitre, l’admission en preuve de ces évaluations constitue une preuve extrinsèque et non pertinente à son analyse[2]. Elle conclut donc en la validité du processus d’évaluation du dossier du professeur et ainsi, au non-renouvellement de son contrat.

Dans le cadre du pourvoi en contrôle judiciaire de cette sentence, la Cour supérieure se demande si l’arbitre a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve présentant le dossier d’évaluation des quatre autres professeurs. En réponse à cela, le juge s’exprime ainsi:  

[30] Le refus d’entendre ou de tenir compte de preuve pertinente constitue une violation de la règle audi alteram partem qui donne ouverture à une intervention en contrôle judiciaire lorsque cette preuve peut avoir un impact sur la décision du tribunal administratif.[3]

La Cour supérieure, sous la plume du juge Marc Saint-Pierre, annule la sentence de Me Nathalie Massicote et déclare que le dossier doit être référé à un autre arbitre. L’affaire est par la suite portée en appel par l’Université du Québec à Montréal.

Les motifs de la Cour d’appel

La Cour d’appel souligne d’abord que son rôle se limite à vérifier si le juge a choisi la bonne norme de contrôle et s’il l’a appliqué correctement[4]. En analysant le jugement de la Cour supérieure, la Cour d’appel conclut qu’elle n’aurait pas dû annuler la sentence arbitrale et qu’elle ne l’aurait pas fait si elle avait appliqué la bonne norme de contrôle, soit la norme de la décision raisonnable.

En l’espèce, sous prétexte d’une violation à la règle audi alteram partem, la Cour supérieure a plutôt employé la norme de la décision correcte en substituant son opinion à celle de l’arbitre[5]. Pourtant, « l’arbitre de grief, comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, « est maître de la preuve et de la procédure lors de l’arbitrage et il a compétence exclusive à cet égard » »[6]. Ainsi, la Cour supérieure aurait dû accorder une plus grande déférence à la décision de l’arbitre en prenant le temps d’analyser la raisonnabilité de celle-ci.

Selon la Cour d’appel, la décision de l’arbitre revêt toutes les caractéristiques d’une décision raisonnable. En effet, tel qu’elle le souligne, « l’arbitre a pris le soin de recevoir les documents en preuve, d’entendre les arguments au soutien de leur admissibilité et de leur pertinence et de décider au final, qu’ils n’étaient, justement pas, pertinents »[7]. Celle-ci a jugé que l’admission en preuve des autres évaluations, plutôt que de tenter d’établir la mauvaise foi du processus d’évaluation, aurait davantage visé à parfaire le dossier du professeur en haussant sa cote[8]. La Cour d’appel, en y accordant une grande déférence, croit raisonnable la décision de l’arbitre de rejeter ces documents afin de ne pas avoir à réévaluer le dossier du professeur. En effet, l’arbitre agit, ce faisant, « en droit ligne avec les limites imposées par la convention collective »[9], ce qui permet à la Cour de rétablir sa décision.

Conclusion

Cet arrêt nous rappelle l’importance, pour les Cours de révision, d’accorder une très grande déférence aux décisions d’un arbitre en matière de preuve et de procédure. Il les met également en garde contre la tentation de substituer leur opinion à celle d’un arbitre, « sous le couvert d’une […] violation de la règle audi alteram partem »[10].

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal – SPUQ et Université du Québec à Montréal – UQAM (grief syndical), 2019 QCTA 437, par. 32.

[2]Id, par. 59.

[3] Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ) c. Massicotte, 2020 QCCS 315, par. 30.

[4] Université du Québec à Montréal c. Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal – SPUQ, 2021 QCCA 1565, par. 12.

[5] Id., par. 18.

[6] Id., par. 14, citant Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque[1993] 1 R.C.S. 471, p. 487.

[7] Université du Québec à Montréal c. Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal – SPUQ, préc., note 4, par. 17.

[8] Id., par 21.

[9]Id., par. 22.

[10] Id., par. 18.

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