par
Anne-Geneviève Robert
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29 Mar 2022

Qu’arrive-t-il lorsque la Cour fonde sa déclaration de culpabilité sur l’individu et non sur les gestes posés?

Par Anne-Geneviève Robert, avocate

La Cour supérieure, dans l’affaire R. c. Larrivée, 2022 QCCS 307, se penche sur les trois motifs d’appels présentés par l’appelant à la suite de son procès en matière de violence conjugale, lequel mettait en cause des versions contradictoires. Le présent billet portera essentiellement sur le moyen d’appel fondé sur l’admissibilité en preuve d’éléments extrinsèques et d’une preuve de propension générale à commettre l’acte reproché.

Contexte

À la suite d’un jugement le déclarant coupable d’un chef d’accusation de voies de fait simples, Matthieu Larrivée en appelle du verdict pour trois motifs :

« [2] D’abord, le juge de première instance aurait erré en droit en concluant que le critère de vraisemblance de la légitime défense relativement aux deux événements n’avait pas été satisfait. Ensuite, le juge aurait erré en droit en faisant un usage illégal et préjudiciable de la preuve de conduite indigne et de propension administrée. Enfin, il aurait commis diverses erreurs de droit et de faits manifestes et déterminantes dans l’évaluation de la crédibilité de l’appelant et de la plaignante. » (nos soulignés)

En ce qui concerne le deuxième motif, le ministère public soutient plutôt que la preuve de conduite indigne représente en fait le contexte de la relation entre la plaignante et M. Larrivée, et que celle-ci a été adéquatement utilisée par le juge des faits (par. 3).

Lors de ce procès d’une durée de trois jours, seuls la plaignante et l’appelant ont témoigné. Le témoignage de la plaignante a principalement servi à dépeindre négativement son ex-conjoint, allant jusqu’à relater des événements non-liés à l’accusation. La défense s’est objectée à quelques reprises aux réponses données par la plaignante, sans succès.

Par exemple, la plaignante relate les événements entourant le bris de son iPad, alors que cette accusation avait préalablement été retirée par le Ministère public au début de l’instance. Le juge des faits a rejeté l’objection de la défense à cet égard, décidant qu’il s’agissait du contexte de la relation. Le récit de la plaignante se poursuit par des exemples du caractère de son ex-conjoint, en parlant notamment de l’incident où il aurait fait des trous dans une porte, ou encore de la fois où il l’injuriait devant ses proches (par. 8 et ss.).

Encore une fois, lors du contre-interrogatoire, l’avocate de la défense s’objecte à certaines parties du témoignage de la plaignante, ce à quoi le juge répond qu’elle n’a tout simplement qu’à poser des questions plus fermées, soit des questions laissant moins place à une réponse élaborée (par. 20).

Lors des plaidoiries, le juge des faits est intervenu pendant les arguments de la défense en questionnant l’appelant :

« [54] […] ‘‘C’est qui le véritable M. Larrivée? C’est-tu celui qui a témoigné devant moi ou celui qui défonce les portes?’’ »

En concluant, l’avocate de la défense souligne comment l’appelant a été sali tout au long de l’instance et qu’il s’agissait plutôt du procès, par la plaignante, de leur couple. D’ailleurs, le Ministère public débute ses arguments en insistant sur la dynamique de leur relation. Il plaide que le fait de briser des objets serait le modus operandi de M. Larrivée et revient sur les événements relatés par la plaignante, y compris ceux qui sont non-pertinents dans le cadre de l’accusation en cause. Pour conclure, il fait valoir que la version de l’accusé devrait être écartée pour le motif que la preuve a démontré qui il était réellement (par 55 à 59).

Dans la décision de première instance, le juge rappelle le contexte des événements et de la relation de couple, reprenant lui aussi des événements non-liés au chef d’accusation, notamment le bris de l’iPad. Concernant son analyse de la crédibilité de l’accusé, il expose ce qui suit :

« [62] […]

[37] À l’audience, l’accusé s’est présenté comme un homme en contrôle de ses émotions. Il a témoigné avec calme et sérénité. Il a subi un contre-interrogatoire serré de la part d’un procureur d’expérience qui ne l’a pas ébranlé. Il a tenu le même discours tout au long du procès. Il a maintenu avoir agi en légitime défense.

[…]

[39] Contrairement au calme affiché en salle d’audience, l’ensemble de la preuve démontre que l’accusé est une personne colérique, violente, autoritaire et contrôlante.

[…] 

[43] Ainsi parle un homme qui prétend être en contrôle de ses émotions, mais qui n’hésite pas à mettre ses menaces à exécution lorsque contrarié. Sa prétention est dénuée de crédibilité.

(Les caractères gras sont ajoutés par le Tribunal) »

À la fin de sa décision, le juge des faits exprime que « malgré le témoignage de l’accusé », aucun doute ne subsiste dans son esprit suivant l’analyse de la preuve.

Décision

En appel, la Cour supérieure a finalement établi que les conclusions du juge ont majoritairement été fondées sur la preuve de propension et de conduite indigne présentée par l’intimée, et que cette erreur de droit quant à l’utilisation de la preuve requiert la tenue d’un nouveau procès. En effet, « [l]a preuve de propension et de conduite indigne de l’appelant a rendu le procès inéquitable et le juge a erré en droit en fondant ses conclusions sur la crédibilité de l’appelant en grande partie sur cette preuve. »

En règle générale, la preuve de propension doit être écartée. Toutefois, ce type de preuve peut exceptionnellement être admis dans certains cas, notamment pour comprendre le contexte dans un dossier de nature conjugale ou pour démontrer l’état d’esprit d’un accusé.

Le Ministère public a plaidé, en appel, que la majorité de la preuve liée à la propension de l’accusé de commettre l’infraction reprochée était pertinente en l’espèce. Toutefois, la Cour supérieure rappelle que l’appelant est accusé de deux événements bien précis dans le temps, et non d’une série d’événements couvrant la période mentionnée sur la dénonciation. Ainsi, une preuve de conduite indigne qui n’entre dans aucune des circonstances l’autorisant ne peut être acceptée pour la simple raison que le procureur de l’intimée a choisi d’élargir la période couverte par sa dénonciation.

Le Tribunal conclut finalement que les preuves suivantes, entre autres, étaient inadmissibles :

  • Tout ce qui touche à des méfaits, sauf un en particulier, puisque cela n’avait aucune pertinence avec l’accusation en cause;
  • Tous les propos dégradants que l’accusé aurait tenus ainsi que les disputes du couple;
  • Les faits relatant un comportement violent de la part de l’accusé à des moments n’ayant aucun lien avec le présent dossier;
  • Les accusations de violence psychologique et d’aliénation parentale avancées par la plaignante.

Tout au long de son témoignage, la plaignante a présenté son ex-conjoint comme une mauvaise personne en général, quelqu’un de violent, d’irrespectueux, de narcissique, etc. La grande majorité des faits qu’elle a rapportés étaient liés à ces caractéristiques de l’appelant, bien que cela n’avait aucun lien avec l’accusation à laquelle il faisait face. Il s’agissait en fait d’une preuve de propension générale.

Même si le Ministère public prétend avoir tenté d’encadrer les propos de la plaignante afin d’éviter de tomber dans une telle preuve, la Cour supérieure affirme que ce procès est rapidement devenu inéquitable envers l’accusé et que la poursuite a contribué à ceci par ses questions ainsi que ses arguments. En fait, le procureur de l’intimée a directement invité le juge des faits à se baser sur la prédisposition de l’accusé à être violent pour le reconnaître coupable des faits reprochés. La défense, pour sa part, a essayé en vain de s’objecter à quelques reprises face à diverses preuves présentées et a grandement reproché cette situation lors de sa plaidoirie.

Tout en statuant que le fait pour une cour de prendre en compte un élément de nature similaire, mais extrinsèque à l’accusation en cause, afin d’analyser la crédibilité d’un témoignage risque de faire en sorte que le raisonnement soit fondé sur la propension générale alors que ce n’est pas permis, la Cour supérieure ajoute ceci :

« [88] Le danger d’une mauvaise utilisation d’une telle preuve est moindre devant juge seul que devant jury, mais il n’est pas inexistant en raison du caractère parfois pernicieux du préjudice moral, même pour un juge. Il est difficile d’évaluer où se situe la frontière au-delà de laquelle l’introduction de preuve de conduite indigne inadmissible devant juge seul rend le procès inéquitable, mais il est certain qu’elle a été allègrement franchie en l’espèce. Aucun juge, si prudent soit-il, ne peut rester imperméable à un tel déferlement de preuve de propension et de mauvais caractère. Le juge de première instance n’y a pas échappé. »

Un juge doit évidemment motiver sa décision afin de démontrer que malgré une preuve inadmissible ou toxique, il ne s’est pas laissé influencer par celle-ci dans le cadre de son analyse. Or, dans le cas qui nous occupe, le juge des faits a en grande partie fondé cette analyse sur la preuve de conduite indigne extrinsèque aux faits. En effet, il a notamment tenu compte des faits relatés qui seraient survenus plus de quatre ans avant les événements en cause.

Finalement, le juge de première instance conclut qu’il ne croit pas l’appelant. Toutefois, ce n’est pas « à cause » de son témoignage mais bien « malgré » celui-ci, qui a été rendu avec calme et sérénité, tant en interrogatoire qu’en contre-interrogatoire, toujours selon le juge.

Toutefois, vu sa conclusion que l’appelant était une personne de nature violente et contrôlante, la cour a déterminé que son témoignage n’en était pas un crédible. À cet effet, la Cour supérieure rappelle que lorsque la question en litige porte sur des erreurs touchant la crédibilité, comme en l’espèce, l’application de la disposition réparatrice prévue à l’art. 686(1)b)(iii) du Code criminel, qui permet de rejeter un appel même s’il pourrait être décidé en faveur de l’accusé lorsqu’aucun tort ou préjudice grave n’est en cause, n’est pas permise.

La Cour supérieure conclue que puisque ce procès a grandement porté sur le caractère de l’accusé et non sur les gestes qu’on lui reproche avoir commis, un nouveau procès s’impose, cette fois, sur la base de preuves admissibles seulement.

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

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