Les pouvoirs d’inspections réglementaires des municipalités et le respect des droits fondamentaux prévus aux chartes
Par Sandra Joseph, avocate
En février dernier, la Cour municipale de la Ville de Montréal a acquitté un citoyen qui avait reçu un constat d’infraction pour avoir refusé l’accès à son domicile à une inspectrice de l’arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce (ci-après « CDN-NDG »), contrevenant au Règlement concernant le droit de visite et d’inspection sur le territoire de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce[1]. En s’appuyant notamment sur la jurisprudence en matière de fouilles, perquisitions et saisies abusives en droit criminel, la Cour a conclu que l’inspection au centre du litige était déraisonnable dans les circonstances. En effet, les municipalités se doivent d’exercer leurs pouvoirs d’inspections réglementaires avec discernement.
Contexte
Le 29 janvier 2021, une plainte anonyme concernant des travaux effectués sans permis est acheminée aux bureaux de l’arrondissement CDN-NDG. Une inspectrice se déplace alors sur les lieux identifiés dans la plainte, soit une résidence unifamiliale ; lors de cette visite, elle ne constate aucune infraction ni travaux en cours et décide de quitter les lieux. Deux semaines plus tard, l’arrondissement reçoit une seconde plainte anonyme portant sur le même objet[2].
Le 10 février 2021, l’inspectrice retourne à l’adresse visée par la plainte et tente de rencontrer les propriétaires afin d’inspecter l’intérieur de la résidence pour vérifier si des travaux sans permis étaient en cours ou avaient été réalisés. Le propriétaire, M. Abenson, lui ouvre la porte, mais refuse de la laisser entrer dans sa résidence, car l’inspectrice n’a pas remis de préavis d’inspection. L’inspectrice insiste et finit par appeler les policiers, lesquels se rendirent sur lieux plus tard, alors que l’inspectrice avait déjà quitté le secteur[3].
Le 11 février 2021, l’inspectrice remet un préavis à M. Abenson l’avisant que l’inspection aura lieu le lendemain. L’inspectrice mènera donc son inspection à l’intérieur de la résidence le 12 février. Lors de sa visite, elle remarque que des travaux sans permis étaient en cours ; ces travaux seront alors suspendus jusqu’à l’obtention du permis requis par la réglementation municipale[4].
Décision
Le présent jugement ne porte pas sur la légalité du Règlement RCA19 17315, mais plutôt sur son application en respect des droits fondamentaux prévus à la Charte canadienne des droits et libertés[5] (ci-après « Charte canadienne ») et la Charte des droits et libertés de la personne[6] (ci-après « Charte québécoise »). Pour établir son cadre d’analyse, la Cour se réfère à plusieurs arrêts de la Cour suprême en matière de fouilles, perquisitions et saisies abusives[7] « puisque les inspections réglementaires sont sans conteste une intrusion de l’État dans la vie privée et sont assimilables à une perquisition au sens de l’article 8 de la Charte. »[8] Ces inspections doivent être effectuées de manière raisonnable afin d’assurer que les droits prévus aux chartes seront respectés[9]. En d’autres mots, ce pouvoir d’inspection n’est pas absolu.
Pour évaluer la raisonnabilité d’une inspection, « les tribunaux doivent déterminer l’étendue des exigences constitutionnelles en faisant une évaluation de plusieurs facteurs, dont le contexte, l’importance de l’intrusion et le degré d’expectative de vie privée rattaché aux lieux […] »[10].
En l’espèce, l’immeuble inspecté était une résidence unifamiliale, qui constitue un endroit où le niveau d’expectativité de vie privée est élevé[11]. De plus, selon les faits du litige, aucune urgence ne justifiait la nécessité de procéder à une inspection immédiate, sans préavis. Aussi, bien que l’inspectrice n’ait pas utilisé la force directement comme ce fut le cas dans la décision Amzallag c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts[12] de la Cour d’appel, le fait que l’inspectrice ait appelé la police peut sembler démesuré dans les circonstances.
La Cour conclut que l’inspection et l’intervention de l’inspectrice étaient abusives et déraisonnables, et acquitte M. Abenson.
Commentaires
Les municipalités disposent de pouvoirs d’inspections réglementaires qui leur permettent de s’assurer du respect de leurs règlements. Cependant, cette décision de la Cour municipale confirme une fois de plus que ces pouvoirs comportent des limites en raison du caractère intrusif de ses interventions. Prudence et raisonnabilité seront donc de mise dans l’exercice de ces pouvoirs.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] RCA19 17315, art. 3.
[2] 2022 QCCM 8, par. 5-8.
[3] Id., par. 9-13.
[4] Id., par. 15 et 16.
[5] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].
[6] RLRQ, c. C-12.
[7] Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, 161. R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, par. 23 ; R. c. Genest, [1989] 1 R.C.S. 59 ; R. c. Cornell, 2010 CSC 31, par. 16.
[8] Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash; Comité paritaire de l’industrie chemise c. Sélection Milton, [1994] 2 R.C.S. 406.
[9] Ville de Montréal c. Abenson, préc., note 2, par 26 et 27.
[10] Id., par. 29-31.
[11] Id., par. 33-34.
[12] 2018 QCCA 1439.
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