Publicité électorale : quand un continuum existe entre espace physique et virtuel
Par Marie J. Brousseau, avocate
Dans Therrien c. Directeur général des élections du Québec, 2022 QCCA 1070, la Cour d’appel décide que les termes « afficher » et « espace loué » doivent être interprété à la lumière des réalités technologiques contemporaines. Dans ce dossier d’interprétation législative, la Cour d’appel éclaircit le rôle de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (« LCCJTI »)[1].
Contexte
Il s’agit d’un dossier d’interprétation d’une disposition de la Loi électorale[2]. Le 5 mars 2014, le gouvernement du Québec prend le Décret 2016-2014, ordonnant la tenue des élections générales du 7 avril 2014. Le ou vers le 6 mars 2014, le responsable des médias sociaux d’un parti politique publie sur le réseau social Facebook une publicité payante.
L’alinéa premier de l’article 429 de la Loi électorale se lit comme suit :
429. Sauf le directeur général des élections, nul ne peut, pendant les sept jours qui suivent celui de la prise du décret, diffuser ou faire diffuser par un poste de radio ou de télévision ou par une entreprise de câblodistribution, publier ou faire publier dans un journal ou dans un autre périodique ou afficher ou faire afficher sur un espace loué à cette fin, de la publicité ayant trait à l’élection.
[Nos soulignements]
Le Directeur général des élections du Québec (« DGÉQ ») intente une poursuite. Or, le juge de paix magistrat de la Cour du Québec ordonne l’arrêt des procédures après avoir accueilli une demande en rejet en vertu de l’article 184 (7) du Code de procédure pénal[3], au motif « que le chef d’accusation ne correspond à aucune infraction créée par une loi en vigueur au moment des faits»[4].
La Cour du Québec conclut que seuls les espaces loués physiques étaient visés par l’interdiction. Selon le juge de paix magistrat, comme la dernière modification de l’article 429 remonte à 1995, il est impossible que le législateur ait exprimé sa volonté d’interdire l’affichage virtuel sur les réseaux sociaux. De plus, l’utilisation de mots précis tels que « loué », « affiche » et « espace » commande une interprétation restrictive du type de publicité interdite. Ainsi, élargir la portée de ces termes, pour y inclure l’affichage virtuel, reviendrait à usurper le rôle du législateur.
La Cour supérieure, quant à elle, interprète l’article 429 de façon large et évolutive et conclut que l’interdiction d’affichage s’étend aux espaces virtuels. Par conséquent, la Cour supérieure déclare que l’infraction reprochée existe en droit et retourne l’affaire en première instance.
Décision de la Cour d’appel
Interprétation évolutive et contextualisée de termes généraux
La Cour d’appel souligne que les termes de la loi doivent être interprétés selon leur sens usuel au moment de leur adoption. En revanche, cela ne veut pas dire que le sens des mots doit demeurer figé dans le temps[5]. Lorsqu’il s’agit de termes généraux, il est possible que des dispositions soient applicables à des réalités inexistantes au moment de leur adoption. La Cour d’appel s’exprime ainsi :
[67] Il s’agit donc de déterminer si le texte de l’article 429 s’oppose à son extension à l’affichage virtuel dans un espace virtuel. Je ne le crois pas. La généralité des termes « afficher » et « espace » n’empêche pas leur application à la dimension virtuelle propre aux réseaux sociaux.
[68] Dans la mesure où le texte législatif ou réglementaire s’y prête, et c’est le cas de 429, l’avènement d’Internet et du cyberespace exige l’adaptation par les tribunaux des concepts généraux à ces nouvelles réalités. […]
Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (« LCCJTI »)
Ensuite, la Cour d’appel se penche sur le rôle de la LCCJTI dans l’interprétation de la Loi électorale. La Cour d’appel explique que l’un des objectifs de la LCCJTI est « de s’assurer que le vieux droit soit capable d’intégrer la nouvelle réalité technologique »[6]. La LCCJTI vise également à assurer une cohérence des règles de droit en établissant l’interchangeabilité des documents sur support papier et sur autre support (technologique).
Au sujet de la notion de document au sens de la LCCJTI, la Cour d’appel s’exprime ainsi :
[86] Ainsi, la notion de document comprend nécessairement l’affichage virtuel, car l’affichage s’avère constitué d’informations portées sur un support qui a la même valeur juridique s’il comporte la même information, et ce, peu importe les supports utilisés (les articles 5 et 9) (réf. omise). À cet égard, « afficher » ou « faire afficher » comporte l’utilisation d’un support sur lequel on porte des informations, donc un document au sens de l’article 3.
La Cour d’appel note que la notion de document s’applique à tout document visé par une loi, même si, comme c’est le cas de l’article 429, le texte ne contient pas spécifiquement le terme « document ».
Conclusion
En tout état de cause, lorsque le texte le permet, la vocation permanente des lois milite en faveur d’une interprétation évolutive afin qu’elles conservent leur efficacité malgré les changements sociaux et technologiques.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] RLRQ, c. C-1.1.
[2] RLRQ, c. E-3.3.
[3] RLRQ, c. C-25.1.
[4] Therrien c. Directeur général des élections du Québec, 2022 QCCA 1070, par. 22.
[5] Id., par. 58.
[6] Id., par. 83.
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