La Loi sur la remise des dépôts d’argent aux cotitulaires d’un compte qui sont des conjoints ou des ex-conjoints : une petite loi qui simplifiera la vie de plusieurs endeuillés
Par David Théodore Searle, avocat et Josée Verreault, avocate
Après le décès d’un des cotitulaires d’un compte conjoint, les institutions financières sont désormais obligées de remettre au conjoint survivant, cotitulaire du compte, sa part du solde.
Contexte
Afin de faciliter la gestion des dépenses courantes, plusieurs couples optent pour l’ouverture d’un compte conjoint solidaire. Ce type de compte permet à l’institution financière d’honorer les chèques tirés par un seul des déposants[1].
Le décès d’un des conjoints complique, entre autres maux, cette gestion. C’est parce que l’institution financière procède inévitablement au gel du compte, afin d’évaluer le droit du conjoint survivant sur l’argent[2]. En effet, selon la professeure Nicole l’Heureux, « la part du conjoint décédé fera partie de son patrimoine, appartenant ainsi à la succession »[3]. Le conjoint survivant n’a donc pas un droit automatique dans la part du solde de son conjoint décédé.
Or, le conjoint survivant perd également l’accès à sa juste part du solde, qui est présumée être égale à la moitié en l’absence d’indication contraire[4].
De l’avis de la Chambre des notaires du Québec, le gel successoral « occasionne souvent un stress supplémentaire pour des personnes qui n’ont pas accès à d’autres liquidités »[5]. De plus, plusieurs notaires constatent bien souvent qu’au lendemain du décès, le conjoint survivant se précipite au guichet automatique pour retirer les sommes d’argent nécessaires pour continuer à subvenir à ses besoins et par peur que le compte soit gelé. Ce faisant, il risque sans le vouloir d’accepter de façon tacite la succession de son conjoint décédé[6].
L’entrée en vigueur de la Loi sur la remise des dépôts d’argent aux cotitulaires d’un compte qui sont des conjoints ou des ex-conjoints[7], le 8 décembre 2022, vient ainsi « répondre à la difficulté vécue par plusieurs personnes endeuillées d’accéder rapidement à des sommes détenues dans un compte conjoint à la suite du décès du cotitulaire du compte »[8].
Voici comment.
Type de compte visé
L’expression « compte de dépôt à vue » utilisée dans la Loi signifie le compte courant. La Loi ne vise pas les autres comptes détenus par des conjoints[9], comme le compte épargne[10].
Le compte doit appartenir uniquement à deux conjoints, excluant les comptes détenus entre des conjoints et d’autres personnes[11]. Les conjoints peuvent être mariés, unis civilement ou encore être conjoints de fait[12].
Déclaration
À l’ouverture du compte, les conjoints peuvent maintenant déclarer leur part respective dans le solde à l’institution financière[13]. Cette dernière doit, d’ailleurs, les avoir informés de cette possibilité. La part de chacun pourra être modifiée en tout temps par la suite[14].
À défaut d’avoir produit une déclaration, leur part respective équivaut à la moitié du solde du compte, conformément à la présomption de l’égalité des parts des indivisaires[15].
Remise
Sur simple demande du conjoint survivant, sa part déterminée ou présumée doit désormais lui être remise par l’institution financière au décès du conjoint cotitulaire[16]. L’institution financière a, d’ailleurs, l’obligation de réserver la part du conjoint survivant jusqu’à la remise[17].
Modification connexe
Par ailleurs, le nouvel article 643.1 est ajouté dans le Code civil du Québec, en vertu duquel le cotitulaire survivant qui reçoit un montant supérieur à la part à laquelle il a effectivement droit n’est plus considéré comme ayant accepté tacitement la succession de son conjoint décédé[18].
Dispositions pénales
Les institutions financières ont intérêt à respecter les dispositions de la Loi, puisqu’en cas d’infraction, elles sont passibles d’une amende de 600 $ à 6 000 $ ou du double, pour les récidivistes[19].
À consulter !
Le texte intégral de la Loi sur la remise des dépôts d’argent aux cotitulaires d’un compte qui sont des conjoints ou des ex-conjoints est disponible ici.
[1] Nicole L’Heureux, Droit bancaire, 5e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, par. 208.
[2] Loi sur les banques, L.C. 1991, c. 46, art. 460.
[3] Supra, note 1, par. 212.
[4] Art. 1015 C.c.Q.
[5] Chambre des notaires du Québec, Mémoire portant sur le projet de loi no 2. Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, présenté à la Commission des institutions, novembre 2021, p. 20.
[6] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, 2e sess., 42e légis., fasc. no 10, 30 novembre 2021, « Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil », 10 h 20 (version préliminaire) (M. Houle). Art. 637 C.c.Q.
[7] Édictée par la Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, L.Q. 2022, c. 22, art. 291 (ci-après : la « Loi »).
[8] Chambre des notaires du Québec, Mémoire portant sur le projet de loi no 2, supra, note 5.
[9] À des fins d’allègement du texte, seul le terme « conjoints » est utilisé, afin de désigner à la fois les conjoints et les ex-conjoints.
[10] Québec, Assemblée nationale, Journal des débats de la Commission des institutions, supra, note 5, 17 h 00 (version préliminaire) (M. Jolin-Barrette).
[11] Art. 2 Loi.
[12] Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, art. 61.1.
[13] Art. 2 al. 1 Loi.
[14] Art. 2 al. 3 Loi.
[15] Art. 4 Loi et art. 1015 al. 1 C.c.Q.
[16] Art. 3 al. 1 Loi.
[17] Art. 3 al. 2 Loi.
[18] Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil, L.Q. 2022, c. 22, art. 114.
[19] Art. 6 Loi.
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