par
Sarah-Maude Rousseau
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et
Zakary Lefebvre
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27 Mar 2023

R. c. Houle : la Cour d’appel substitue une peine d’emprisonnement à l’absolution conditionnelle octroyée en première instance

Par Sarah-Maude Rousseau, étudiante à l'Université de Montréal et Zakary Lefebvre, avocat

Vous avez certainement entendu parler de Simon Houle au courant de la dernière année, cet ingénieur qui s’est vu octroyer, à l’étonnement de tous, une absolution conditionnelle à la suite d’un plaidoyer de culpabilité concernant des accusations d’agression sexuelle et de voyeurisme. Cette décision de la Cour du Québec a été portée en appel par la Couronne, ce qui a mené la Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt R. c. Houle, 2023 QCCA 99, à annuler l’absolution prononcée par le juge de première instance et à la substituer par une peine de douze mois d’emprisonnement.

Contexte

Les faits :

Alors que l’accusé et la victime, faisant partie d’un même groupe d’amis, se trouvent au logement d’un ami lors d’une fin de soirée du mois d’avril 2019, la victime va s’étendre dans une chambre. Elle se fait réveiller par la lumière d’un appareil photo : l’accusé photographiait ses parties intimes. Elle sent alors les doigts de ce dernier dans son vagin et panique. Elle appelle son conjoint, qui confronte l’accusé par messages textes. Quelques jours après, la victime est avisée par un ami de l’accusé du fait qu’il y a des photos de parties intimes dans le cellulaire de ce dernier. Elle porte alors plainte aux policiers[1].

Jugement sur la peine – Cour du Québec :

Le juge Matthieu Poliquin rappelle tout d’abord les principes et objectifs de détermination de la peine. Il aborde par la suite l’absolution en mentionnant que cette dernière vise « à éviter un effet disproportionné découlant de la condamnation et de l’existence d’un casier judiciaire »[2]. Ainsi, en pratique, le tribunal peut ordonner l’absolution si cela est dans l’intérêt véritable de l’accusé, sans nuire à l’intérêt public.

En l’espèce, le juge Poliquin estime que les crimes commis se retrouvent dans la partie intermédiaire et supérieure de l’échelle de gravité, et que leur gravité subjective est importante. Il retient les facteurs aggravants suivants : la gravité des atteintes à l’intégrité de la victime, les conséquences importantes des crimes sur la victime, les conséquences pour ses proches, ainsi que l’abus de la vulnérabilité de la victime découlant de son état d’inconscience[3]. Toutefois, le juge conclut que l’absolution conditionnelle est la peine appropriée en raison des circonstances particulières, du profil positif de l’accusé, de son cheminement thérapeutique et de la démonstration de sa réhabilitation, malgré le fait que la peine d’emprisonnement est habituellement privilégiée en matière d’agression sexuelle. Il explique en effet « qu’il est dans l’intérêt véritable de l’accusé de bénéficier d’une absolution »[4], notamment puisqu’il est une personne de bonne moralité, que les crimes commis sont contextuels et ponctuels et qu’une condamnation lui causerait des conséquences négatives disproportionnées en lien avec sa carrière d’ingénieur. De plus, selon le juge Poliquin, l’imposition d’une absolution conditionnelle ne nuirait pas à l’intérêt public, considérant le jeune âge de l’accusé, son absence d’antécédents judiciaires liés aux crimes contre la personne, sa réhabilitation, son cheminement thérapeutique, son fort potentiel de réinsertion sociale et son faible risque de récidive. Également, selon le juge, « il est dans l’intérêt général que l’accusé, un actif pour la société, puisse poursuivre son parcours professionnel »[5]. Le tribunal prononce donc une absolution conditionnelle accompagnée d’une ordonnance de probation de trois ans et soumet l’accusé à diverses ordonnances, notamment celle de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignement sur les délinquants sexuels pour une période de 20 ans[6].

Décision

Le poursuivant soulève cinq moyens d’appel : (1) le juge a commis des erreurs de principe dans son appréciation de certains facteurs atténuants, (2) il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, (3) il a commis une erreur de principe en concluant que le critère de l’intérêt véritable de l’accusé était satisfait, (4) il a erré en ne déterminant pas la peine sur le chef d’accusation de voyeurisme et (5) il a prononcé une peine manifestement déraisonnable[7].

La Cour d’appel rappelle d’abord la norme d’intervention, dont les principes ont été réitérés dans l’arrêt Friesen[8] : « la cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine »[9].

En l’espèce, selon la Cour, le juge de première instance a ignoré certains facteurs aggravants liés à la perpétration de l’infraction de voyeurisme. En effet, « même en supposant que le juge voulait déterminer une peine globale et avait à l’esprit l’infraction de voyeurisme, ses motifs ne démontrent pas qu’il a tenu compte des facteurs aggravants liés à la perpétration de cette infraction »[10]. De plus, la Cour d’appel estime que le juge a erré dans son appréciation de l’aveu de M. Houle en ce qui a trait à une infraction semblable commise en 2015. Ce dernier, en qualifiant les gestes reprochés en l’espèce de contextuels et ponctuels, a omis de considérer cet aveu, qui prouve que ce n’était pas la première fois que l’accusé adoptait une telle conduite.

La Cour d’appel, considérant que ces erreurs ont eu une incidence sur la détermination de la peine, se livre donc à une nouvelle analyse de la peine juste à attribuer. À cet effet, elle ajoute comme facteurs aggravants le nombre et le contenu des photos, la longue durée où ces dernières sont demeurées accessibles dans son téléphone, ainsi que le fait que M. Houle a continué à agresser la victime après que celle-ci ait changé de pièce. De plus, la cour ne considère pas l’absence d’antécédents judiciaires en matière de violence et l’âge de M. Houle, alors âgé de 27 ans, comme des facteurs atténuants, d’autant plus qu’il a avoué s’être déjà livré à des gestes semblables dans le passé. Ainsi, selon le tribunal, « la mise en balance de l’ensemble des facteurs penche du côté des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale »[11]. Les juges de la Cour d’appel estiment que le critère de l’intérêt public n’a pas été démontré, puisque la personne raisonnable et bien renseignée sur les objectifs et principes de détermination de la peine et sur les circonstances ne comprendrait pas que M. Houle puisse échapper à une condamnation[12].

La Cour accueille donc l’appel, annule l’absolution conditionnelle et condamne Simon Houle à purger concurremment des peines d’emprisonnement de douze mois sur le chef d’agression sexuelle et de deux mois sur le chef de voyeurisme.

Commentaire

Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec rappelle que lors de la détermination de la peine en matière de violence sexuelle, les Tribunaux doivent tenir compte de l’impact sur les victimes, non seulement sur le plan de leur intégrité physique et sexuelle, mais aussi sur celui de leur vie privée et de leur dignité.

Il y a lieu de rappeler qu’en 2018, 11% des femmes et 4% des hommes ont déclaré avoir été victime d’agression sexuelle pendant l’enfance au Québec[13]. Au Canada, selon les données de la même enquête, 33% des femmes et 9% des hommes ont déclaré avoir été victime d’agression sexuelle à l’âge adulte[14]. Les conséquences chez une victime d’agression sexuelle sont multiples, peuvent perdurer toute une vie et causer des traumas intergénérationnels. Les impacts touchent la santé, l’éducation, l’emploi, la criminalité et la condition économique des victimes, mais également de leur famille et de leur communauté[15]. Les victimes peuvent développer des problèmes touchant leur santé sexuelle, physique et psychologique, ce qui peut affecter leurs relations conjugales, parentales et amicales.

Malgré ce constat, le législateur fédéral autorise, encore à ce jour, les Tribunaux à prononcer des absolutions à l’égard d’accusations d’agression sexuelle. En effet, l’article 730 du Code criminel n’exclut aucun crime, sauf ceux passibles d’une peine minimale ou de 14 ans ou plus d’emprisonnement. Or, le crime d’agression sexuelle prévu à l’article 271a) du Code criminel prévoit une peine maximale de dix ans d’emprisonnement et aucune peine minimale si la victime est âgée de plus de 16 ans (la peine maximale étant de quatorze ans et une peine minimale d’une année étant prévue si la victime est âgée de moins de 16 ans). À titre d’exemple, le crime de conduite avec les facultés affaiblies n’est pas admissible à l’absolution puisque le Code criminel prévoit une peine minimale de 1 000$ lors d’une première infraction.

Il pourrait être facile de vouloir lancer des pierres au juge Poliquin pour son manque de sensibilité dans sa décision rendue (par ailleurs, notons que le Conseil de la magistrature a rejeté toutes les plaintes contre lui relatives à sa décision). Sauf que dans les faits, le juge Poliquin a prononcé une peine qui, juridiquement, n’était pas illégale. Afin d’éviter de telles décisions dans le futur, il faudrait adresser le problème à la source : modifier le Code criminel afin d’interdire les absolutions dans les cas d’agression sexuelle. 

Le texte intégral de la décision est disponible ici.


[1] R. c. Houle, 2022 QCCQ 4039, par. 7-16.

[2] Ibid., par. 59.

[3] Ibid., par. 82.

[4] Ibid., par. 86.

[5] Ibid., par. 93.

[6] R. c. Houle, 2022 QCCQ 4039, par. 102 -106.

[7] R. c. Houle, 2023 QCCA 99, par. 16.

[8] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 26.

[9] R. c. Houle, 2023 QCCA 99, par. 19.

[10] Ibid., par. 28.

[11] Ibid., par. 42.

[12] Ibid., par. 54.

[13] Cotter, A., et L. Savage (2019). La violence fondée sur le sexe et les comportement sexuels non désirés au Canada, 2018 : Premiers résultats découlant de l’Enquête sur la sécurité dans les espaces publics et privés, [en ligne], Statistique Canada, « Juristat » (consulté le 14 mars 2023).

[14] Cotter, A. (2021). Violence entre partenaires intimes au Canada, 2018 : Un aperçu, [en ligne], Statistique Canada, « Juristat » (consulté le 14 mars 2023).

[15] World Helath Organization (WHO), London School of Hygiene and Tropical Medicine. (2010). Preventing intimate partner and sexual violence against women. Taking action and generating evidence. Genève: World Health Organization.

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