Marques de commerce en langue étrangère : comment analyser le risque de confusion?
Par Jessie McKinnon, avocate
Dans la décision Cheung’s Bakery Products Ltd. c. Easywin Ltd., 2023 FC 190, la Cour fédérale étudie l’application des critères de confusion contenus à la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c. T-13 (ci-après « LMC »), à des marques de commerce en langue étrangère et définit le consommateur moyen dans ces circonstances.
Contexte
Cheung’s Bakery Products Ltd. (ci-après « CBP ») existe depuis 1974 et opère 4 commerces dans la région de Vancouver.
Easywin Ltd. (ci-après « Easywin ») est une société de portefeuille dont la société opérante pour les fins du présent résumé est Saint Honore Cake Shop Limited (ci-après « Saint Honore »).
CBP et Saint Honore œuvrent toutes deux dans le domaine des produits de boulangerie et services connexes.
CBP possède trois marques de commerces enregistrées au Canada et a déposé une demande plus récemment, alors que Easywin a deux marques de commerces enregistrées au Canada. Pour l’essentiel, les marques de commerce en jeu de CBP représentent l’expression « Anna’s Cake House » en anglais, en caractères chinois et dans une version bilingue. Celles de Easywin sont en caractères chinois et se traduisent en anglais par l’expression « Hong Kong Saint Anna ».
CBP demande la radiation des marques de commerce de Easywin en vertu de l’article 18 de la LMC[1].
Décision
La Cour fédérale procède à l’analyse des éléments pertinents de l’article 18 LMC afin de déterminer si les marques de commerce de Easywin sont valides ou non.
La Cour conclut qu’il existe un risque de confusion entre les marques de commerce de CBP et Easywin en vertu de l’article 6(2) LMC[2].
Le test du consommateur moyen utilisé pour évaluer le risque de confusion est bien établi en jurisprudence. La Cour fédérale en fait un rappel :
« [50] Paraphrasing (former) Justice Rothstein in Masterpiece (paras 40, 41, 83), the question in the case before me is whether, as a matter of first impression, the “casual consumer somewhat in a hurry” who sees Easywin’s trademarks, when that consumer has no more than an imperfect recollection of any one of CBP’s trademarks, would be likely to be confused; that is, whether this prospective consumer would be likely to think, without conducting a careful examination or a side by side comparison, and looking at the trademarks as a whole, that Easywin was the same source of the bakery products as CBP.
[…]
[52] As alluded by Justice Rothstein (by reference to “the trademarks in the marketplace”) but stated more plainly in other jurisprudence, it is not just any hypothetical casual consumer that must be considered in the confusion analysis but rather persons who are likely to buy the goods or services associated with the trademarks in the particular market in which those goods or services are offered […]. »
La Cour en vient à la conclusion qu’en l’espèce le marché visé est le marché sino-canadien et qualifie le consommateur moyen visé comme étant un consommateur Canadien moyen qui peut lire et comprendre les caractères chinois, mais à divers niveaux de connaissance :
« [53] With the foregoing principles in mind, I am persuaded that the issue of confusion in the matter before me must be assessed from the perspective of an average, casual Canadian consumer who can read and understand Chinese characters, albeit with varying degrees of fluency. As I explain, these are the persons who are more likely than not to buy the goods or services in the Chinese-Canadian market in which the parties offer their bakery goods and services. »
La Cour fait ensuite une revue des facteurs à évaluer pour déterminer s’il y a confusion en vertu de l’article 6(5) LMC[3]. Elle conclut que les marques de CBP et Easywin sont similaires quant à leur apparence, leur son et les idées qu’elles suggèrent. En effet, les deux derniers caractères des marques d’Easywin (traduits par Anna ou Saint Anna) sont quasi identiques aux deux premiers caractères de la marque de CBP (traduits par Anna) en caractères chinois, qui sont l’élément dominant des marques de CBP.
Poursuivant l’analyse, bien que la Cour reconnaisse le caractère distinctif inhérent de chacune des marques, celles-ci comportent également des termes descriptifs. La preuve démontre ensuite que CBP utilise ses marques au Canada depuis 1974 et 1997 alors que Easywin utilise les siennes depuis 2020 seulement.
Autre élément qui vient sceller le sort de Easywin, celle-ci n’a pas été en mesure de fournir d’éléments de preuve suffisants à l’effet qu’une licence appropriée a été accordée à Saint Honore, la société opérante, pour l’utilisation de ses marques de commerce au Canada.
Finalement, la Cour conclut que les demandes d’enregistrement des marques de commerce de Easywin au Canada ont été déposées de mauvaise foi puisque Easywin connaissait CBP, ses produits, son marché ainsi que le litige passé ayant opposé CBP et Saint Honore sur des enjeux similaires.
Ainsi, la Cour ordonne la radiation des marques de commerce de Easywin.
Commentaire
Cette décision est intéressante notamment à deux égards. Le premier étant que ce dossier a permis à la Cour fédérale de se pencher sur l’enjeu de la confusion à l’égard de marques de commerce dans une langue étrangère. Ensuite, il s’agit d’un exemple concret du genre de situation où la Cour conclut à de la mauvaise foi. En l’espèce, laisser couler quelques années après un litige pour retenter sa chance constitue de la mauvaise foi.
Le texte intégral de la décision est disponible ici.
[1] 18 (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :
a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;
b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;
c) la marque de commerce a été abandonnée;
d) sous réserve de l’article 17, l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement;
e) la demande d’enregistrement a été produite de mauvaise foi.
[2] 6[…] (2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice.
[3] 6[…] (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :
a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre de produits, services ou entreprises;
d) la nature du commerce;
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux, notamment dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.
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