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Intelligence juridique
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19 Mai 2023

SÉLECTION SOQUIJ : Gariépy et Eugène Monette inc., 2023 QCTAT 1154

Par SOQUIJ, Intelligence juridique

TRAVAIL : Le Tribunal adhère au courant jurisprudentiel voulant qu’une décision rendue à la suite d’un avis du BEM modifiant le diagnostic initialement retenu remplace la décision portant sur l’admissibilité de la réclamation en ce qui a trait aux questions juridiques qui sont en corrélation directe avec cette modification, sans qu’il soit par ailleurs possible de remettre en cause les conclusions factuelles qui sont étrangères à celle-ci.

2023EXPT-936 *** 

Intitulé : A.B. c. Google, 2023 QGariépy et Eugène Monette inc., 2023 QCTAT 1154

Juridiction : Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Laurentides

Décision de : Amélie Chouinard, juge administrative

Date : 9 mars 2023

Références : SOQUIJ AZ-51922280, 2023EXPT-936 (25 pages)

-Résumé

TRAVAIL — accidents du travail et maladies professionnelles — évaluation médicale — compétence de la CSST/CNESST — avis du BEM — décision de la CNESST rendue en conséquence — modification du diagnostic — théorie du remplacement — courants jurisprudentiels — position hybride (remplacement corrélatif) — intention du législateur — stabilité des décisions.

TRAVAIL — accidents du travail et maladies professionnelles — lésion professionnelle — cas d’application — lésion physique — syndrome facettaire transitoire sur spondylodiscarthrose — directeur de magasin — alors qu’il effectue habituellement des tâches administratives, il a manipulé des charges pendant 1 mois en raison des mesures sanitaires — pandémie — coronavirus — COVID-19 — état d’urgence sanitaire — présomption de lésion professionnelle — blessure — apparition graduelle de la symptomatologie — accident du travail — événement imprévu et soudain — travail inhabituel — délai avant l’apparition de la symptomatologie — réclamation refusée.

Contestation par le travailleur d’une décision ayant déclaré qu’il n’avait pas subi de lésion professionnelle. Contestation rejetée.

Le travailleur, un directeur de magasin, a produit une réclamation pour un diagnostic de lombalgie et d’entorse lombaire qu’il attribuait à la modification de ses tâches en raison des mesures sanitaires liées à la pandémie de la COVID-19. La CNESST a refusé sa réclamation. L’instance de révision a confirmé cette décision. Le dossier du travailleur a été soumis au BEM, qui a retenu un diagnostic de syndrome facettaire transitoire sur spondylodiscarthrose. La CNESST a rendu une décision en conséquence. Elle s’est déclarée liée par le diagnostic, mais elle a déclaré qu’elle avait déjà établi qu’il ne s’agissait pas d’une lésion professionnelle. Le travailleur n’a pas contesté cette décision.

Décision
Si la jurisprudence est divisée quant à la portée des effets juridiques qui découlent d’une décision rendue à la suite de l’avis du BEM, elle s’accorde toutefois sur le fait que la théorie du remplacement ne trouve application que si les conditions suivantes sont remplies: 1) le diagnostic que retient le BEM est différent de celui ayant fait l’objet de l’analyse de l’admissibilité de la réclamation par la CNESST; et 2)  le Tribunal est saisi d’une contestation à l’égard de 1 seule des 2 décisions, soit à l’égard de la décision d’admissibilité ou de celle rendue à la suite de l’avis du BEM. En l’espèce, ces conditions sont présentes. La théorie du remplacement doit donc trouver application. Il reste à déterminer la portée des effets juridiques de la décision rendue à la suite de l’avis du BEM sur celle portant sur l’admissibilité de la réclamation du travailleur.

Plusieurs courants coexistent au sein de la jurisprudence, soit la théorie du remplacement complet, la théorie du remplacement partiel ainsi qu’un courant plus récent, la théorie du remplacement «hybride». Le présent tribunal considère que les théories du remplacement complet et partiel entraînent certains effets juridiques qui ne respectent ni l’intention du législateur ni l’esprit de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Il y a donc lieu d’appliquer la théorie du remplacement hybride, laquelle peut aussi être décrite comme la théorie du remplacement corrélatif.

À l’instar de la théorie du remplacement complet, le présent tribunal considère que, lorsqu’un avis du BEM modifie le diagnostic ayant fait l’objet de la décision d’admissibilité, il y a lieu de déterminer si ce nouveau diagnostic permet toujours, ou désormais, l’application de la présomption de lésion professionnelle. De plus, s’il y a lieu, l’existence d’une relation causale entre ce nouveau diagnostic et l’événement imprévu et soudain doit être apprécié. Cette interprétation s’arrime pour l’essentiel avec l’intention du législateur qui exige de la CNESST qu’elle «rend[e] une décision en conséquence» de l’avis du BEM. Elle permet également d’éviter des résultats illogiques et inéquitables. Le présent tribunal est toutefois d’avis que la portée des effets juridiques de la modification du diagnostic doit se limiter à ceux qui en découlent directement et que cela ne saurait remettre en cause des conclusions factuelles qui lui sont étrangères. À ce sujet, il fait siens les commentaires formulés dans Au sommet Place Ville-Marie et Gabier (T.A.T., 2020-11-23), 2020 QCTAT 4390, SOQUIJ AZ-51725549, 2021EXPT-447.

Tout comme le retient le courant de la théorie du remplacement partiel, le présent tribunal estime que l’article 224.1 LATMP doit être interprété de manière à limiter l’atteinte au principe de la stabilité des décisions au strict nécessaire. Elle doit également éviter de faire revivre des droits qui sont échus, soit ceux relatifs à des questions étrangères à la modification du diagnostic, telles que les conclusions factuelles issues de la décision d’admissibilité au regard de la notion de «qui arrive sur les lieux du travail alors qu’il est au travail», quant à l’existence d’un événement imprévu et soudain ou relativement à la notion de «par le fait ou à l’occasion du travail». Néanmoins, l’interprétation retenue par la théorie du remplacement partiel quant à la portée des effets juridiques de la décision rendue à la suite de l’avis du BEM est trop restrictive. Tout comme la théorie du remplacement complet, elle mène aussi à des résultats illogiques et inéquitables. En ce sens, le présent tribunal partage les commentaires formulés dans Au sommet Place Ville-Marie.

En vertu de la théorie du remplacement hybride ou corrélatif, la décision rendue à la suite d’un avis du BEM qui modifie le diagnostic remplace la décision d’admissibilité quant à la composante médicale relative à la nature du diagnostic liant et quant à toutes les questions juridiques qui sont en corrélation directe avec la modification du diagnostic. En fonction de ce courant, la décision rendue à la suite de l’avis du BEM ne justifie toutefois pas de remettre en cause les conclusions factuelles de la décision d’admissibilité qui ne sont pas en corrélation directe avec la modification du diagnostic. Ainsi, dans le cas d’une lésion professionnelle reconnue à titre d’accident du travail, la contestation d’une décision rendue à la suite d’un avis du BEM n’autorise pas une partie à remettre en cause les aspects suivants: 1) les conclusions de faits retenues dans la décision d’admissibilité quant à la notion de «qui arrive sur les lieux du travail alors qu’il est au travail» visée par la présomption de lésion professionnelle; et 2) les conclusions de faits retenues par la décision d’admissibilité quant à la notion de «par le fait ou à l’occasion du travail» et quant à la survenance d’un événement imprévu et soudain. Chaque dossier est un cas d’espèce, et il appartient au Tribunal de procéder à une analyse attentive à la fois de la décision d’admissibilité et de celle rendue à la suite de l’avis du BEM, et ce, afin de déterminer les effets juridiques qui sont en corrélation directe avec la modification du diagnostic et qui doivent faire l’objet d’une nouvelle analyse.

En l’espèce, en application de la théorie du remplacement corrélatif, la CNESST devait vérifier si le diagnostic de syndrome facettaire transitoire sur spondylodiscarthrose se qualifiait toujours à titre de blessure. Même si elle avait procédé à cette nouvelle analyse et si elle avait conclu, par exemple, que le diagnostic modifié constituait une blessure, le résultat n’aurait pas été différent. En effet, la CNESST ne pouvait remettre en cause la décision d’admissibilité voulant que la blessure ne soit pas survenue «sur les lieux du travail alors [que le travailleur] était à son travail». Ainsi, il lui fallait conclure que le travailleur ne bénéficiait toujours pas de la présomption de lésion professionnelle, et ce, malgré la modification du diagnostic. De la même façon, puisque la CNESST ne pouvait remettre en cause la décision d’admissibilité quant à l’absence d’événement imprévu et soudain, il lui fallait conclure que le travailleur n’avait pas subi d’accident du travail. Lorsqu’elle a rendu la décision à la suite de l’avis du BEM, la CNESST n’a pas déterminé si le diagnostic de syndrome facettaire transitoire sur spondylodiscarthrose constituait une blessure. Elle s’est déclarée liée par le diagnostic modifié et a simplement fait référence à la décision d’admissibilité en ce qui concerne toutes les composantes de la notion de «lésion professionnelle». De ce fait, elle a créé une expectative légitime pour le travailleur selon laquelle les questions relatives à ces autres composantes demeurent couvertes par la décision d’admissibilité. En raison des particularités de la présente affaire, l’absence de contestation du travailleur de la décision rendue à la suite de l’avis du BEM ne rend donc pas sans objet sa contestation déposée à l’encontre de la décision d’admissibilité.

Le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 LATMP. Le diagnostic de syndrome facettaire transitoire sur spondylodiscarthrose ne constitue pas une blessure au sens classique de ce terme. Il ne constitue pas davantage une blessure au sens élargi. En effet, les symptômes ressentis par le travailleur ne sont pas apparus de manière instantanée, mais se sont plutôt développés progressivement.

Le travailleur n’a pas démontré qu’il avait subi un accident du travail. Vu un manque de personnel disponible, ce dernier, dont les tâches habituelles sont exclusivement administratives, a dû participer à la manutention de produits. La preuve quant à la nature des produits manipulés est contradictoire. Toutefois, elle concorde quant au fait que le travailleur a été appelé à récupérer des poches de ciment, des boîtes de tuiles de céramique, des contenants de peinture, dont certains de 5 gallons, ainsi que divers autres produits de quincaillerie. Le poids de certains de ces produits atteignait jusqu’à 50 livres. Cette preuve permet de conclure que les tâches du travailleur ont été modifiées en janvier 2021 et que les nouvelles tâches entraînaient une sollicitation inhabituelle de la colonne lombaire. Toutefois, le travailleur n’a pas établi de manière précise la durée de la modification de ses tâches. Un collègue qui occupe un poste d’acheteur a témoigné que la restriction imposée aux clients quant à l’accès aux allées de marchandises avait été appliquée pendant une période d’environ 1 mois. Par conséquent, les travailleurs n’avaient plus à récupérer les commandes. Le Tribunal retient donc que la survenance d’un événement imprévu et soudain au sens élargi a été démontrée, mais que celui-ci est circonscrit à une période de 1 mois, soit de janvier à février 2021.

L’existence d’un lien de causalité entre cet événement imprévu et soudain et le diagnostic n’a pas été démontrée. Le travailleur n’a pas produit de preuve médicale qui établit l’existence d’un tel lien de causalité. Par ailleurs, l’opinion du BEM ne peut être retenue afin d’établir l’existence d’un lien de causalité puisque celle-ci se fonde sur une fausse prémisse. En effet, ce dernier a indiqué que la modification des tâches habituelles du travailleur avait commencé au début de la pandémie liée à la COVID-19, soit en mars 2020, et avait duré jusqu’à l’apparition des symptômes, en juillet 2021. Par ailleurs, la preuve ne permet pas d’inférer l’existence d’une relation causale par une présomption de faits graves, précis et concordants. D’une part, il existe un délai de plusieurs mois entre la survenance de l’événement imprévu et soudain et les premiers symptômes du travailleur, en juillet 2021. D’autre part, ce dernier se trouvait à sa résidence le 4 juillet 2021 lorsqu’il a ressenti pour la première fois certains inconforts au niveau de la colonne lombaire. Il en était de même lors de l’intensification de ses douleurs, le 17 juillet suivant. Aussi, un délai de 1 mois 1/2 s’est écoulé avant que le travailleur ne déclare un lien entre ses douleurs et ses tâches. Par conséquent, il n’a pas subi de lésion professionnelle.

Le texte intégral de la décision est disponible ici

Le texte intégral de la décision est disponible ici

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