par
Marie J. Brousseau
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06 Juin 2023

Le projet de loi C-13 et le renouveau des droits linguistiques

Par Marie J. Brousseau, avocate

Le 15 mai 2023, la Chambre des communes a adopté le projet de loi C-13[1] visant à moderniser la Loi sur les langues officielles (LLO). Le projet de loi accorde de nouveaux droits à certains travailleurs et consommateurs, en plus de renforcer les pouvoirs du commissaire aux langues officielles (« commissaire »). Nous vous proposons un survol de quelques points saillants.

Devoirs des entreprises privées de compétence fédérale

L’article 54 du projet de loi instaure la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale (LUFEPCF). La loi a pour objet de promouvoir et protéger l’usage du français au Québec (et ultimement dans les régions à forte présence francophone)[2]. Pour ce faire, elle impose des devoirs aux entreprises privées de compétence fédérale (« entreprises fédérales »)[3] telles que les banques ou les entreprises de transport interprovinciales ou internationales.

Langue de travail

L’article 9 de la LUFEPCF garantit aux employés d’entreprises fédérales des droits linguistiques similaires à ceux des employés d’institutions fédérales.

En effet, les entreprises devront s’assurer que leurs employés puissent travailler, être supervisés en français, recevoir des communications et de la documentation en français et utiliser des instruments de travail en français[4].

Droit des consommateurs

La LUFEPCF reconnaît aux consommateurs le droit à des services et des communications en français lorsqu’ils transigent avec des entreprises fédérales[5]. D’ailleurs, le commissaire pourra enquêter sur réception d’une plainte ou de sa propre initiative[6]. Soulignons que les entreprises situées au Québec pourront se soustraire aux obligations de la LUFEPCF en s’assujettissant volontairement à la Charte de la langue française[7]

Modification de la Loi sur les langues officielles

Accès à la justice dans les langues officielles

Le projet de loi étend l’obligation de comprendre les langues officielles sans l’aide d’un interprète à la Cour suprême du Canada[8]. Le projet de loi ajoute également une nouvelle situation exigeant la publication simultanée d’une décision des tribunaux fédéraux dans les deux langues officielles :  la décision ayant valeur de précédent[9].

Promotion du français et de l’anglais (mesures positives)

Les dispositions portant sur l’épanouissement des minorités de langues officielles sont étoffées. Par exemple, le gouvernement fédéral s’engage à offrir des opportunités d’apprentissage de qualité aux minorités de langues officielles[10]. Le projet de loi renvoie à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés[11] en précisant que le gouvernement fédéral sera tenu d’estimer le nombre de parents détenant le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité[12]. La loi modifiée donne l’obligation au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’adopter une politique favorisant l’épanouissement des minorités francophones du Canada[13].

Pouvoirs du commissaire aux langues officielles

Le projet de loi octroie au commissaire une gamme de nouveaux outils en commençant par la possibilité de conclure des accords de conformité, puis le pouvoir de rendre des ordonnances et en terminant par l’imposition de sanctions administratives pécuniaires.

Après enquête, le commissaire pourra conclure un accord de conformité avec une institution fédérale[14]. Il pourra également conclure ce type d’accord avec des entreprises fédérales[15]. En effet, la LUFEPCF lui octroie, dans plusieurs cas, les mêmes pouvoirs qu’il détient envers les institutions fédérales. Également, le commissaire pourra ordonner à une institution fédérale de prendre les mesures indiquées pour remédier à une contravention ou à une violation de la LLO[16]. Cependant, pour rendre une ordonnance le commissaire devra avoir émis des recommandations pour une violation ou une contravention similaire[17]. Le commissaire disposera également de ce pouvoir envers les entreprises fédérales[18].

Enfin, le commissaire aura le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires en cas de non‑respect de la partie IV de la LLO (communication avec le public) aux institutions fédérales, aux sociétés d’État et à certaines personnes morales[19]. À noter que la LUFEPCF exclut l’imposition de telles sanctions aux entreprises fédérales[20].

Commentaires

La notion d’égalité est au cœur du projet de loi C-13, ce qui est reflétée par la proposition de renommer la LLO « Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles ». Il est également proposé de changer le titre de la partie VII (« Promotion du français et de l’anglais ») pour « Progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais »[21]. Pour en connaître davantage sur les objectifs de la modernisation de la LLO, nous vous conseillons de lire le billet de Me Emily Dufresne.

Enfin, le projet de loi mentionne également les langues autochtones. Ainsi, la LLO modernisée « ne fait pas obstacle au maintien et à la valorisation des langues autres que le français ou l’anglais, ni à la réappropriation, à la revitalisation et au renforcement des langues autochtones »[22]

Le texte intégral du projet de loi C-13 est disponible ici.


[1] Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, 1e sess, 44e lég, 2023 (Troisième lecture à la Chambre des communes, 15 mai 2023) [C-13].

[2] C-13, art. 54 ; art. 4 LUFEPCF. L’article 55 du projet de loi prévoit l’insertion de « régions à forte présence francophone ». Toutefois la date entrée en vigueur de cette modification sera fixée par décret (C-13, par. 71 (4)).

[3] Tel que défini à l’article 2 du Code canadien du travail, LRC 1985, c. L-2. Toutefois, la LUFEPCF ne s’applique pas aux entreprises privées de compétence fédérale en ce qui concerne les activités et les lieux de travail relatifs au secteur de la radiodiffusion. (C-13, art. 54; art. 5 LUFEPCF)

[4] C-13, art. 54; par. 9 (1) LUFEPCF.

[5] C-13, art. 54; art. 7 LUFEPCF.

[6] C-13, art. 54; par. 14 (2) LUFEPCF.

[7] RLRQ c. C-11; C-13, art. 54; art. 6 LUFEPCF.

[8] C-13, art. 11; par. 16 (1) LLO modifiée.

[9] C-13, art. 12 ; par. 20 (1) a.1) LLO modifiée. La disposition entrera en vigueur un an après la sanction royale (C ‑13, par. 71 (1)).

[10] C-13, art. 21 ; par. 41 (3) LLO modifiée.

[11] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].

[12] C-13, art. 21 ; par. 41 (4) LLO modifiée.

[13] C-13, art. 23; art. 44.1 LLO modifiée. La disposition entrera en vigueur à la date déterminée par décret (C ‑13, par. 71 (2)).

[14] C-13, art. 36 ; paras. 64.1 (1) et (3) LLO modifiée. Cet accord de conformité est assorti de conditions que le commissaire juge nécessaires pour faire respecter la loi.  

[15] C-13, art. 54 ; paras. 16 (1) et 19 (1) LUFEPCF.

[16] C-13, art. 36 ; paras. 64.5 (1) et 64 (4) LLO modifiée.

[17] C-13, art. 36 ; par. 64.5 (1) et (2) LLO modifiée.

[18] C-13, art. 54 ; paras. 16 (1) et 19 (1) LUFEPCF.

[19] C-13, art. 37 ; arts. 65.1 et 65.2 LLO modifiée. L’article 62.2 précise que ces personnes morales doivent être assujetties à la LLO en vertu d’une autre loi fédérale et remplir les conditions suivantes : (a) être désignées par règlement, (b) avoir des obligations au titre de la partie IV de la LLO, (c) exercer ces activités dans le domaine des transports et (d) offrir des services aux voyageurs et communiquent avec eux.

[20] C-13, art. 54; art. 69 LUFEPCF.

[21] C-13, art. 21.

[22] C-13, art. 44 ; par. 83 (2) LLO modifiée.

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