par
Marie J. Brousseau
Articles du même auteur
11 Fév 2025

Droit du travail : Les évolutions majeures de 2024 au Québec et au Canada

Par Marie J. Brousseau, avocate

En ce début d’année 2025, je vous propose un survol de quelques événements marquants en droit du travail en 2024. Pour ce billet, j’adopte une notion large du droit du travail, englobant non seulement les rapports individuels et collectifs, mais aussi les questions de santé et de sécurité au travail.

Harcèlement psychologique et violence à caractère sexuel en milieu de travail

La Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail[1], sanctionnée en mars 2024[2], a entrainé des modifications à quelques lois provinciales.

Modifications à la Loi sur la santé et sécurité au travail (« LSST »)

La LSST comporte désormais une définition de « violence à caractère sexuel », laquelle inclut notamment « la violence relative à la diversité sexuelle et de genre » et qui couvre un large éventail d’actes, qu’ils soient isolés ou répétés[3].

Modifications à la Loi sur les normes du travail (« LNT »)

Les modifications ont élargi l’obligation de l’employeur en matière de harcèlement psychologique. En effet, désormais l’employeur a l’obligation de prévenir et de faire cesser le harcèlement psychologique « provenant de toute personne »[4].

L’article 81.19 de la LNT a été enrichi pour spécifier les éléments minimaux que doit contenir la politique de l’employeur en matière de harcèlement psychologique. Ces éléments incluent, notamment, les modalités pour déposer une plainte auprès de l’employeur, des recommandations sur la conduite à adopter lors de participation à des activités sociales liées au travail ainsi que les mesures destinées à préserver la confidentialité des plaintes[5].

Modifications à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP »)

Les modifications à la LATMP créent deux nouvelles présomptions facilitant la reconnaissance des lésions professionnelles résultant de violences à caractère sexuel[6]

Également, le législateur québécois a modifié quelques articles de la LATMP portant sur l’accès au dossier du travailleur. Ainsi, les employeurs n’ont plus accès aux dossiers médicaux et de réadaptation physique des travailleurs[7]. Par ailleurs, lorsque le professionnel de la santé désigné par l’employeur lui fait un rapport pour lui donner un avis lui permettant d’exercer un droit prévu à la LATMP[8], il ne peut lui communiquer que les informations nécessaires pour lui donner un avis[9].

Absences et certificat médical

La Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins[10]a modifié accessoirement la LNT en limitant le droit de l’employeur d’exiger, lorsque les circonstances le justifient, un document attestant des motifs d’une absence. Désormais, l’article 79.2 de la LNT prévoit que pour les 3 premières absences d’une période de 3 journées consécutives ou moins dans une période de 12 mois, l’employeur ne pourra plus exiger un document attestant des motifs d’absence (incluant un certificat médical). Similairement, le nouveau libellé de l’article 79.7 de la LNT exclut la possibilité pour l’employeur de demander un certificat médical pour les absences liées aux soins d’un enfant, d’un membre de la famille ou d’un proche.

Nouvelle législation fédérale anti-briseurs de grève

La Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles[11]a reçu la sanction royale en juin 2024.

En juin 2025, l’interdiction des entreprises de compétence fédérale de recourir à des briseurs de grève s’étendra au-delà des employés embauchés après l’avis de négociation. Par exemple, les bénévoles, les étudiants, les personnes occupant un poste de direction, ainsi que les employés transférés d’un autre lieu de travail que celui où se déroule la grève ou le lock-out seront également hors de portée de l’employeur pour effectuer les tâches d’un employé de l’unité de négociation[12].

Toutefois, le Code canadien du travail modifié prévoit une exception à l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement. Ainsi, dans des situations exceptionnelles qui pourraient présenter une menace pour la vie, la santé ou la sécurité de toute personne, ou une menace de graves dommages ou de destructions des biens de l’employeur, ce dernier pourra recourir à des travailleurs de remplacement[13]. Cependant, l’employeur ne pourra utiliser des travailleurs de remplacement qu’après avoir offert aux employés de l’unité de négociation visée par la grève ou le lock-out la possibilité d’effectuer le travail nécessaire.

L’intervention du ministre du Travail et la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Re)[14]

Dans le cadre du conflit de travail chez deux grandes compagnies ferroviaires, le Conseil canadien des relations industrielles (ci-après « CCRI ») a dû se pencher sur la question de la révision de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre du Travail.

Contexte

En 2024, à la suite de l’expiration de conventions collectives, un conflit de travail éclate entre les employés représentés par la Conférence ferroviaire Teamsters Canada (ci-après « CFTC »), la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après « CN ») et le Canadien Pacifique Kansas City (ci-après « CPKC »). Le 22 août 2024, alors que les parties exerçaient leur droit de grève et de lock-out, le ministre du Travail est intervenu en vertu des pouvoirs conférés par l’article 107 du Code canadien du travail (ci-après « Code »)[15] et a ordonné, notamment, au CCRI d’ordonner aux employeurs de reprendre leurs activités et aux employés de reprendre leurs fonctions.

Décision

Dans ce dossier, le CCRI devait répondre aux questions suivantes :

  1. Le CCRI a-t-il le pouvoir d’examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre du Travail en vertu de l’article 107 du Code?
  2. Le CCRI a-t-il le pouvoir discrétionnaire de refuser de mettre en œuvre les instructions du ministre du Travail?

Premièrement, le CCRI conclut qu’il ne possède pas le pouvoir de réviser les instructions ministérielles ou d’en évaluer la validité. Le CCRI indique que seule la Cour fédérale peut réviser les décisions prises par un ministre dans l’exercice de pouvoirs discrétionnaires conférés par une loi, et ce, conformément aux principes établis par la Cour suprême du Canada dans Dow Chemical[16] et du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales[17].

Deuxièmement, le CCRI explique qu’il ne dispose d’aucun pouvoir inhérent lui permettant de refuser de mettre en œuvre les instructions du ministre du Travail, et ce, même lorsque celles-ci pourraient affecter le droit de grève, un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés[18](ci-après « Charte ») ou frustrer les objectifs du Code. En effet, en tant qu’entité créée par une loi, le CCRI ne peut exercer que les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par le Code

Dans ses motifs écrits, le CCRI met en avant des nuances importantes en s’exprimant ainsi :

[122] Le Conseil procède régulièrement à une évaluation des considérations relatives aux relations du travail, y compris la mise en équilibre des valeurs de la Charte, lorsqu’il rend des décisions et exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du Code. Toutefois, en l’espèce, c’est le ministre qui exerce son pouvoir discrétionnaire et qui est tenu de prendre en considération les droits et les valeurs garantis par la Charte pour s’assurer que ses instructions minimisent l’ingérence dans le droit de grève tout en tenant compte de l’intérêt public. Les attendus contenus dans les instruments ministériels semblent avoir pris en compte les différents intérêts, mais c’est à la CF [Cour fédérale] qu’il incombe d’examiner des instructions du ministre.

Enfin, sans se prononcer sur la nécessité de recourir à une législation pour imposer un retour au travail, le CCRI précise que l’article 107, dans sa rédaction actuelle, confère au ministre du Travail une vaste latitude quant aux mesures qu’il estime nécessaires pour garantir la paix industrielle et favoriser les conditions propices au règlement des conflits de travail.

 Les motifs écrits du CCRI sont disponibles ici.

CONCLUSION :

Cette revue de l’année 2024 serait incomplète sans mentionner la décision Société des casinos du Québec inc. c. Association des cadres de la Société des casinos du Québec[19] dans laquelle la Cour suprême du Canada se prononce sur la question de la liberté d’association des cadres de premier niveau. Cette décision a été omise de ce billet, car Me Marilyn Ménard a déjà rédigé un billet sur le sujet.

En somme, l’année 2024 témoigne d’une attention marquée du législateur québécois envers la protection de l’intégrité psychique des travailleurs ainsi que l’utilisation appropriée des dossiers médicaux des travailleurs. Sur le plan des relations de travail fédérales, une tendance se dessine vers une intervention plus fréquente de la branche exécutive par rapport à la branche législative. Cette tendance s’est traduite par l’intervention du ministre du Travail, au moyen de l’article 107 du Code, dans plusieurs conflits de travail chez WestJet (juillet 2024), chez le CN et le CPKC (août 2024), dans les ports de Montréal et de la Colombie-Britannique (novembre 2024), ainsi que chez Postes Canada (décembre 2024).


[1] PL 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, 1e sess, 43e lég, Québec, 2024 (sanctionné le 27 mars 2024) LQ 2024, c 4 [PL 42].

[2] Certaines dispositions sont entrées en vigueur dès le 27 mars 2024 (par exemple, la nouvelle définition de « violence à caractère sexuel »), tandis que d’autres sont entrées en vigueur le 27 septembre 2024 (par exemple, les présomptions facilitant la reconnaissance d’une lésion professionnelle résultant de la violence à caractère sexuel). Enfin, les autres dispositions entreront en vigueur au plus tard le 6 octobre 2025.

[3] PL 42, art. 33; art. 1 LSST.

[4] PL 42, art. 18 ; art. 81.19, al.2 LNT.

[5] PL 42, art. 18; art. 81.19, al. 3 LNT.

[6] PL 42, art. 4; arts. 28.0.1 et 28.0.2 LATMP.

[7] PL 42, art. 4; art. 38, al. 5, in fine LATMP.

[8] Par exemple, pour faire une demande de transfert de l’imputation des coûts des prestations liées à une lésion professionnelle au motif que le travailleur était déjà handicapé au moment de sa lésion professionnelle (art. 329 LATMP).

[9] PL 42, art. 7; art. 39, al. 1 LATMP.

[10] PL 68, Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins, 1re sess, 43e lég, Québec, 2024 (sanctionné le 9 octobre 2024), LQ 2024, c. 20 [PL 68].

[11] PL C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, 1re sess, 44e lég, 2024, (sanctionné le 20 juin 2024), L.C. 2024, ch 12 [PL C-58].

[12] PL C-58, art. 9(2); art. 94(4) Code canadien du travail modifié.

[13] PL C-58, art. 9(2); art. 94(7) Code canadien du travail modifié.

[14] 2024 CCRI 1162.

[15] LRC 1985, c L-2.

[16] Chemical Canada ULC c. Canada, 2024 CSC 23.

[17] LRC 1985, c F-7.

[18] Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[19] 2024 CSC 13.

Commentaires (0)

L’équipe du Blogue vous encourage à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d’alimenter les discussions sur le Blogue. Par ailleurs, prenez note du fait qu’aucun commentaire ne sera publié avant d’avoir été approuvé par un modérateur et que l’équipe du Blogue se réserve l’entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.

Laisser un commentaire

À lire aussi...