Rabbani c. Médecins (Ordre professionnels des) : quelques rappels en matière de sanctions disciplinaires
Par Jennifer Assogba, avocate et Mélanie Arrata, étudiante à l'Université de Montréal
Dans l’affaire Rabbani c. Médecins (Ordre professionnels des), le Tribunal des professions (ci-après « le Tribunal ») a été saisi d’un appel déposé par Dre Rabbani, gynécologue obstétricienne (ci-après « l’Intimée ») à l’encontre d’une décision sur sanction du Conseil de discipline du Collège des médecins (ci-après « Conseil ») lui imposant une période de radiation temporaire de six mois sur le chef no 1 de la plainte disciplinaire[1] considérant la négligence répétée dont a fait preuve l’Intimée en établissant son diagnostic.
Tout au long de son analyse, le Tribunal souligne l’importance d’accorder au décideur de première instance une grande déférence dans le cadre de l’imposition des sanctions.
Le 9 avril 2015, l’Intimée reçoit une patiente référée par son médecin de famille pour saignement post-ménopausique. Cette patiente a un historique familial de cancer du côlon et s’inquiète à ce sujet. Après quatre consultations et des saignements qui persistent, l’Intimée omet d’utiliser les méthodes scientifiques appropriées pour déterminer la cause des saignements. Quelques jours plus tard, la patiente consulte une autre gynécologue obstétricienne qui l’admet immédiatement en chirurgie après avoir rapidement déterminé la bonne source des saignements.
Le 8 juin 2017, la Plaignante dépose une plainte dont le libellé du chef no 1 se lit comme suit :
[2] En faisant défaut d’élaborer son diagnostic avec la plus grande attention et d’utiliser les méthodes scientifiques les plus appropriées lorsqu’elle a évalué madame X, née le […], une patiente qui lui avait été référée pour saignement post ménopausique et qui l’a consultée à compter du 9 avril 2015, négligeant de prévoir une hystéroscopie diagnostique malgré la présence de saignements persistants, omettant ainsi d’éliminer la possibilité d’un adénocarcinome endométrial[…] [2].
Le 15 février 2019, le Conseil déclare l’Intimée coupable à l’égard du chef no1 fondé sur les articles 46 et 47 du Code de déontologie des médecins ainsi que l’article 59.2 du Code des professions.
Le 15 juillet 2019, le Conseil impose à l’Intimée une période de radiation temporaire de six mois sur le chef no 1 de la plainte disciplinaire.
Bien que le débat ait porté sur plusieurs éléments, nous nous arrêterons pour les fins du présent résumé sur la manifestation de la déférence qui doit être accordée au Conseil dans le cadre de l’imposition d’une sanction disciplinaire.
L’analyse du Tribunal des professions
Dans un premier temps, l’Intimée reproche au Conseil de s’être écarté de la fourchette des peines généralement imposées en semblable matière. Elle lui reproche également de ne pas avoir suffisamment motivé cet écart. En réponse à cet argument, le Tribunal rappelle son rôle en s’exprimant comme suit :
[54] L’intervention du Tribunal sera justifiée concernant la motivation si le Conseil a failli à respecter l’exigence de transparence et d’intelligibilité dans son processus décisionnel et que la justification ne permet pas un examen valable par le tribunal d’appel. Il s’agit d’une question de droit relative aux règles d’équité procédurale qui s’évalue sous l’angle de la décision correcte.[3]
Se basant sur la jurisprudence constante en matière de motivation de décisions quant aux sanctions disciplinaires[4], le Tribunal conclut que la décision sur sanction est suffisamment motivée, car le Conseil y a considéré les facteurs objectifs et subjectifs suivant un processus analytique intelligible et clair.
Par ailleurs, le Tribunal démontre que le processus analytique du Conseil a été suivi en conformité avec les principes et objectifs généralement applicables en matière de sanctions disciplinaires, tels qu’établis dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault[5]. En effet, le Conseil a autant considéré la gravité objective de l’infraction que les facteurs aggravants et atténuants du dossier avant de prendre sa décision.
En attribuant une gravité objective importante à l’infraction[6] et en concluant qu’il y a plus d’éléments atténuants dans les autres références jurisprudentielles que dans le cas en l’espèce[7], l’écart par rapport à la fourchette des peines était amplement justifié.
À ce propos, le Tribunal rappelle que « la non-intervention est la règle en matière de sanction à moins que ne soient prouvées de sérieuses lacunes dans l’exercice de sa discrétion par le Comité de discipline »[8].
En l’espèce, en prenant en compte non seulement les principes généraux applicables, mais aussi les faits propres au dossier, des facteurs objectifs comme subjectifs, le Conseil n’a pas erré dans sa décision.
Il apparaît opportun de souligner que « la règle veut que les fourchettes de peines soient des guides et non des carcans »[9], ce qui permet au Conseil de s’en éloigner tant que cela est justifié.
De plus, l’Intimée tente de prouver que le poids accordé à son dossier professionnel a été trop important et pas assez nuancé. Le Tribunal répond qu’il « doit accorder une grande latitude au décideur de première instance en matière de sanction parce que celui-ci a le privilège d’entendre la preuve et les témoins et qu’il est mieux placé pour déterminer la sanction appropriée eut égard aux circonstances ».[10] Par ailleurs et comme le souligne le Tribunal, « la pondération à accorder aux facteurs pertinents relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du décideur de première instance et ne constitue pas une matière révisable à moins d’une erreur de principe »[11].
Conclusion
Cette décision rappelle l’importance de respecter la déférence à accorder aux juges de première instance, et ce, même si les sanctions imposées semblent sévères.
Le Tribunal n’avait pas à déterminer s’il existait une sanction plus appropriée que celle imposée par le Conseil. Il pouvait seulement intervenir sur l’aspect suffisamment motivé ou non de la décision ou en cas d’erreurs de principe, inexistants en l’occurrence. En effet, tenant compte de son rôle, des principes généraux en matière de sanctions disciplinaires et de la discrétion du Conseil quant au poids à accorder aux différents facteurs, le Tribunal rejette l’appel.
Le texte intégral de la décision est disponible ici
[1]Rabbani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 3, par. 2.
[2]Id.
[3]Id., par. 54.
[4]Metellus c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île de
Montréal (Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal), 2018 QCCA 135, par. 11; Camko Alignement
pneus et mécanique inc. c.Société de transport de Montréal, 2019 QCCA 319.
[5]Pigeon c. Daigneault, [2003] R.J.Q. 1090.
[6]Rabbani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 3, par. 74.
[7]Id., par. 89.
[8]Rabbani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 3, par. 67; Terjanian c. Lafleur, 2019 QCCA 230, par. 34.
[9]Rabbani c. Médecins (Ordre professionnel des), 2022 QCTP 3, par. 71.
[10]Id., par. 97.
[11]Id., par. 98.
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