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Maia Ioana Voicu
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16 Jan 2025

Trois décisions incontournables du Tribunal des professions en 2024

Par Maia Ioana Voicu, Avocate

Découvrez trois décisions incontournables du Tribunal des professions (le « Tribunal »), rendues en 2024. Ces arrêts mettent en lumière d’importantes notions qui façonnent le domaine du droit disciplinaire et professionnel, notamment, le traitement des objections à la preuve lors de l’instruction, l’imposition de la sanction et le poids accorder à un antécédent disciplinaire.

3 décisions en 2024 du tribunal des professions

Objections à la preuve : en cours d’instruction, un président a-t-il compétence pour rendre une décision sur les objections à la preuve sans consulter les deux autres membres ?

Desforges c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des)

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

L’appelant a demandé au Tribunal la permission d’interjeter appel d’une décision du Conseil de discipline de l’Ordre des chiropraticiens du Québec  (le « Conseil »). Le Conseil avait rejeté la requête de l’appelant visant à récuser ses trois membres, pour cause d’un manque d’indépendance et d’impartialité dans le traitement de six objections à la preuve lors de l’instruction. En effet, le président a rejeté les objections de M. Desforges sans consulter les autres membres du conseil.

Les questions de droits évoquées, incluant celle susmentionnée, ont été qualifiées par le Tribunal comme étant : « d’intérêt pour le système professionnel, quel que soit le résultat de l’appel, et qu’il est dans le meilleur intérêt de la justice qu’elles soient tranchées aussitôt que possible » [1]. « [C]es questions mettent en lumière le rôle des membres non-juristes d’un conseil de discipline dans un contexte de virtualité, ce qui n’est pas sans intérêt » [2].

Ainsi, le Tribunal accueille la demande pour permission d’appeler de la décision du Conseil rejetant la demande de récusation.

  1. Retour sur les principes entourant l’imposition de la sanction

Beaulieu c. Comptables professionnels agréés (Ordre des)

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

L’appelant, membre du tableau de l’Ordre des comptables agréés du Québec, s’est vu reprocher des fautes professionnelles liées à l’audit d’états financiers et la vérification des états de rémunération du personnel de trois garderies sur plusieurs années, soit de 2008 à 2011.

Devant le Tribunal, l’appelant prétend, notamment, que le Conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (le « Conseil ») a erré dans l’application des principes applicables à l’imposition des sanctions. Deux erreurs de principes sont relevées par le Tribunal dans l’imposition de la sanction par le Conseil.

D’une part, lors de l’analyse par le Conseil de la gravité objective des manquements commise, ce dernier considère comme facteur additionnel aggravant l’inutilité d’un témoignage de l’experte de l’appelant. En effet, le Conseil avait souligné que l’inutilité du témoignage découlait du fait qu’il y avait une différence entre l’opinion de l’experte dans son rapport écrit et dans son témoignage. Le Tribunal précise que « si l’opinion initiale fournie par l’experte Mc Nicoll était incomplète et superficielle, ce qui n’est possiblement pas étranger au contexte dans lequel ses services ont été retenus, il y a lieu de reconnaître que lors de son contre-interrogatoire, elle a effectué plusieurs vérifications qui ont mené à l’évidence : les nombreux manquements de l’appelant » [3]. Le Tribunal considère que la qualification de ce facteur comme aggravant constitue une erreur de principe, car le témoignage de l’experte a « joué le rôle qui est dévolu à l’expert, soit d’éclairer le décideur » [4].

D’autre part, l’appelant fait valoir que l’imposition d’une suspension de trois mois et d’amendes supplémentaires constituait une double sanction injustifiée. L’appelant note que le Conseil avait déjà conclu qu’il n’y avait pas de risque de récidive, ce qui rendait les amendes supplémentaires inutiles et punitives. En effet, le Tribunal énonce que le « Conseil ne peut à la fois conclure à l’absence de risque de récidive de l’appelant et lui imposer des amendes substantielles pour empêcher une tentative de récidive. En d’autres termes, il est erroné d’imposer une sanction pour dissuader un comportement dont la survenance a été écartée. Dans le cas sous étude, l’abandon de la profession cumulé à l’engagement de ne plus pratiquer en est l’illustration » [5]. De surcroît, le Tribunal soulève que l’imposition des amendes par le Conseil semble avoir eu pour objectif principal de s’assurer que l’appelant soit sanctionné de manière immédiate, en sus des périodes de radiation concurrentes de trois mois ne prenant effet que si l’appelant décide de se réinscrire au tableau de l’Ordre. Selon le Tribunal, le comportement du Conseil laisse « craindre une volonté de le punir, ce qui est contraire à tous les enseignements des tribunaux supérieurs et de notre tribunal » [6]. Ainsi, le Tribunal annule les amendes totalisant 30 000$.

Le poids à accorder à un antécédent disciplinaire

Kevorkian c. Notaires (Ordre professionnel des)

Le texte intégral de la décision est disponible ici.

L’appelant se pourvoit à l’encontre de la décision sur sanction du Conseil de discipline de la Chambre des notaires (le « Conseil ») concernant une demande d’information par la Chambre des notaires qui est restée sans réponse entre les années 2020 et 2022.

Dans cette affaire, le Tribunal analyse le poids qu’un conseil de discipline se doit d’accorder à un antécédent disciplinaire. Ainsi, le Tribunal précise qu’ : «[a]vant d’inclure une condamnation antérieure dans les facteurs aggravants, un conseil de discipline doit en analyser la nature et le lien avec les infractions pour lesquelles il imposera une sanction. Vu la très grande variété des infractions possibles en matière disciplinaire, un conseil de discipline doit expliquer les motifs pour lesquels la condamnation antérieure a un lien avec l’affaire sous analyse et doit être imputée aux facteurs aggravants» [7].

Selon le Tribunal, un conseil de discipline se doit de déterminer si l’antécédent présente une pertinence directe avec l’affaire. De plus, le Tribunal précise que « le délai écoulé est de la plus haute importance pour déterminer le poids à accorder à cette condamnation antérieure» [8].

Le Tribunal conclut que le Conseil a commis une erreur en incluant l’antécédent disciplinaire de l’appelant dans l’analyse des facteurs aggravants, et ce, sans de plus amples explications.

De plus, le Tribunal se penche sur le concept de l’individualisation de la sanction [9]. Ce dernier rappelle que l’individualisation de la sanction est une notion plus forte que celle de l’exemplarité. Ainsi, l’individualisation ne peut pas être écartée au profit de l’exemplarité.

En savoir plus :

Des propos jugés inappropriés tenus en classe par une professeure méritent-ils une sanction disciplinaire?

Rabbani c. Médecins (Ordre professionnels des) : quelques rappels en matière de sanctions disciplinaires

Dix jugements essentiels en matière de faute disciplinaire

[1] Desforges c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2024 QCTP 13, par. 26.

[2] Id., par. 24.

[3] Beaulieu c. Comptables professionnels agréés (Ordre des), 2024 QCTP 34, par. 93.

[4] Id., par. 94.

[5] Id., par. 98.

[6] Id., par. 99.

[7] Kevorkian c. Notaires (Ordre professionnel des), 2024 QCTP 41, par. 26.

[8] Id., par. 27.

[9] Id., par. 40 et 41.

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